•f
f*«i*1
i;^^
t
0* 4*44
.1
\iéi
,ii h
'i
4<«
%m^
>^M^i
»f "f •♦ *i «f •i-i'è*
f^#«i
F»«><
>t*l
4* I t i
K#}
f i i è i
MM
.à
r rtl
k*f»-M'^l
>»1>t1
^♦#»s
»& |p"-^
.»' p■*^
»*#)i.1
>^»d
►* k-k^ .« »*
kf^t
^*< >«
k-^m^ï
#l#i4#
»i#l4^!i^i«ii
»tit]
^^9^1
Ui.
/' ,
PRÉCIS HISTORIQUE
DE
PHONÉTIQUE FRANÇAISE
MAÇON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS
NOUVELLE COLLECTION A L'USAGE DES CLASSES
Seconde Série III
PRÉCIS HISTORIQUE
DE
PHONÉTIQUE FRANÇAISE
PAR
Edouard BOURGIEZ
PROFESSEUR A L'uNIVERSITÉ DE BORDEAUX
Cinquième Edition revue et corrigée.
PARIS \^
LIBRAIRIE C. KLINCKSIECK 11, Rue de Lille, 11
1921
Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction
réservés pour tous pays.
^ i o 6"
' / ^ i
PKKFACE DH LA CINQUIÈME HDITIOX
La dernière édition de ce /Vt'm avait paru au com- mencement de l'année 1914. Les grands événements qui se sont déroulés depuis n'ont pas créé naturelle- ment une atmosphère très flivorable au développe- ment des études romanes. Cependant l'activité scien- titîquc, si elle s'est ralentie chez nous ou ailleurs, n'a jamais été complètement interrompue : on a publié, même au fort de la tourmente, quelques ouvrages relatifs à la phonétique française. Je ne veux en rappeler ici que deux, écrits tous les deux en France. C'est d'abord le Traite pratique Je Prononciation fran- çaise de .\l. Grammont, ouvrage d'une méthode sûre et d'une élégante précision, dissimulant sous une allure de vulgarisation des recherches scientifiques très étendues. C'est en second lieu le Manuel de Pho- nétique et de Morp})ologie historique du français dû à M. Clédat, livre dont quelques détails restent peut- être contestables, mais où l'on trouve en revanche une étude assez poussée sur l'évolution des con- sonnes finales en français, et auquel je suis redevable
pour ma part de certaines suggestions qui m'ont semblé heureuses.
Cette cinquième édition de mon Précis n'offre point, par rapport à la précédente, de très appré- ciables modifications. Les théories qui se trouvent à la base de mon exposé n'ont pas varié ; l'économie générale du livre est donc restée ce qu'elle était, et le cadre lui-même a été conservé, puisque aussi bien il a fait ses preuves, et a certainement été pour quelque chose dans le bon accueil qu'a reçu ce manuel. J'ai cependant, comme il était naturel, sou- mis mon texte à une révision attentive, fait quelques additions ou quelques retranchements ; j'ai allégué çà et là certains exemples qui m'ont paru avoir leur intérêt, et l'on trouvera notamment ici un plus grand nombre de noms géographiques, noms de villes se rapportant au Nord de la France, et dont il est bon de connaître les antécédents exacts. Enfin — chose plus grave — j'ai adopté des solutions nouvelles sur trois ou quatre points de doctrine qui, pour être en un sens secondaires, n'en ont pas moins leur impor- tance et sont encore contestés : ces solutions sont le résultat de mes réflexions particulières ou d'indica- tions venues du dehors. Je voudrais pouvoir me flatter d'avoir approché de la vérité, mais en est-on jamais certain ? En tout cas, j'ai cherché à maintenir entre les théories d'ensemble et les hypothèses intro-
III
duitesune concordance aussi rigoureuse que possible, car je sens plus que jamais combien les diverses parties d'un tout doivent être cohérentes : l'unité d'un manuel est à ce prix, et aussi l'utilité qu'il peut avoir en tant qu'instrument de travail pour ceux qui s'en servent.
J'écrivais, au mois d'août 19 13, entête de la qua- trième édition : « La faveur ininterrompue dont ce petit livre a joui auprès du public studieux des Ecoles, en France et à l'étranger, m'imposait le devoir de le mettre soigneusement au point, de le compléter dans la mesure du possible, et de le faire profiter soit de certains travaux récents, soit de mes recherches per- sonnelles. C'est ce que je me suis efforcé de réaliser ici... Puisse mon Précis rendre quelques services encore à la philologie française, en inspirer le goût, et servir par là-même d'initiation modeste aux études de linguistique romane ! » Je ne peux que répéter aujourd'hui ces paroles, et former les mêmes sou- haits.
Mai 1921.
E. B.
NOTATION PHONÉTIQUE
Voyelles.
a (fr. prttte). â (fr. pas), e (fr. sel), ç (fr. dO- e (fr. chevron). œ (fr. flg/ir). (T (fr. pe//). î (fr. n/d).
p (fr. port). ()(fr. pot). u (fr. towr). // (fr. m//r). à (fr. sang), i (fr. vm). ô (fr. son), œ (fr. bnm).
Consonnes.
h (fr. kit). ^ (fr. car). ^ (fr. ^é). 0 (anglais //?e). / (fr. /-ort). ^ (fr. ^^are). :^ (fr. ^enre). / (fr. /it). ï (russe, pa/ka). / (italien ûgliz). m (fr. mort). « (fr. nid), n (allemand si^o^en). n (fr. wignc).
pi(v. p^s).
R (espagnol rey).
r (fr. roi).
s (fr. iang).
i (fr. chant).
t (fr. /our).
0 (anglais th'm).
V (fr. fin).
w (fr. o?/i).
to (fr. pwits).
)• (fr. 3'eux). y (allemand 2Lch). Y (allemand wa^en), ^ (fr. :(èle).
PRINCIPALES ABREVIATIONS ET SIGNES CONVENTIONNELS
lat. |
latin. |
lat. vulg. cl. |
latin vulgaire, classique (latin). |
celt. |
grec, celtique. |
germ. fr. |
germanique . français. |
afr. |
ancien français. |
moy. fr. |
moyen français. |
fr. mod. |
français moderne |
sg- |
singulier. |
pi. |
pluriel. |
pers. |
personne. |
cf. |
voir. |
— sur les voyelles latines longues. ^ sur les voyelles latines brèves. ' indique sur les voyelles latines l'accent d'inten- sité.
VI —
* précède les formes qui ne sont pas du latin
classique ou reconstruites par induction. = venant de. -|- suivi de.
indique qu'un son s'est effacé. ( ) indique aussi un son disparu. I ] indique un mot noté phonétiquement.
N . B. (/) Les mots français provenant en général de l'accusa- tif latin, c'est cette forme qui sera citée dans les exemples. Mais elle sera donnée telle qu'elle était en latin vulgaire, où le m final est tombé de bonne heure (voir § 200), et où mnrinii, portant, tnrrem se trouvaient réduits à muru, porta, turre.
F) Les mots latins non précédés d'un astérisque sont en prin- cipe (exception faite pour les noms propres et les termes géogra- phiques) ceux qui ont été admis dans la nomenclature du Nou- veau Dictionnaire latin-français de Benoist-Goelzer. Les noms neutres ont été parfois donnés sous la forme du pluriel qui, en latin vulgaire, correspondait à celle d'un féminin singulier en -a.
c) Pour faciliter les rapprochements avec la langue moderne, les formes de l'ancien français ont été citées avec certaines diver- gences orthographiques suivant qu'elles se rapportent au xi^, au xiF ou au xiiic siècle : on trouvera l'explication de ces diver- gences dans les Historiques qui accompagnent les divers para- graphes. Les formes non précédées de la mention « afr. » sont celles du français moderne.
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
A) Ouvrages de phonétique générale et de
PHILOLOGIE ROMANE.
RoussELOT, Principes de Phonétique expérimentale, 2 vol., Paris, 1 897-1 908.
L. RouDET, Eléments de Phonétique générale, Paris, 1910.
P. Passy, Etude sur les Changements phonétiques, Paris, 1890.
M. NiEDERMANN, Précis de phonétique historique du Latin, Paris, 1906.
W. Meyer-Lûbke, Einfûhrung in das Studium der romani schen Sprachwissenschaft, 2^ éd., Heidelberg, 1909.
W. Meyer-Lûbke, Grammaire des Langues romanes (tome I, trad. E. Rabiet ; tomes II-IV, trad. A. et G. Doutrepont). Paris, 1890-1906.
E. BouRCiEZ, Eléments de Linguistique romane, Paris, 1910.
G. Grôber, Grundriss der romanischen Philologie,
VIII —
tome I, 2^ éd., Strasbourg, 1906 (spécialement pp. 712-840, l'étude de H. Sucrier, Die Fran:(p- sische itnd Proven:(alisvhe Sprache und ihre Mundarten).
F. Brunot, Histoire de la Langue Française, tomes I- V, Paris, 1905 suiv.
W. Meyer-Lûbke, Romanisches elymologisches Wôr- îerbucb, Heidelberg, 191 1 suiv.
Roiiiania, recueil trimestriel, fondé par P. Meyer et G. Paris, Paris, 1872 suiv.
Revue des Langues romanes, Montpellier, 1870 suiv.
Revue de Philologie française, publiée par L. Clhdat, Paris, 1887 suiv,
Zeitschrift fur romanische Philologie, fondée par G. Grôber^ Halle, 1877 suiv.
B) Ouvrages relatifs spécialement a la
PHONÉTiaUE FRANÇAISE.
Kr. Nyrop, Grammaire historique de la Langue fran- çaise, tome I, 2" éd., Copenhague et Paris, 1904.
Schwan-Behrens, Grammatik des Altfran:(osischen, II' éd., Leipzig, 1919.
W; Meyer-Lûbke, Historische Grammatik derfranzp- sischen Sprache, tome I, Heidelberg, 1908,
L. Clédat, Manuel de Phonétique et de Morphologie historique du Français, Paris, 19 17.
— IX —
Ch. Thurot, De la prononciation française depuis le commencement du XVI^ siècle, d'après les témoignages des grammairiens, 2 vol., Paris, 1881-83.
G. Rydberg, Zur Geschichte der fran:(osischen a, Upsal, 1907.
GiLLiÉRON et Edmont, Atlas linguistique de la France, Paris, 1902-1910.
Dictionnaire général de la Langue française (précédé d'un Traité de la formation de la langue'), par A. Hatz- FELD, A. Darmesteter et A. Thomas, Paris, s. d. [1900J.
Kr. Nyrop, Manuel phonétique du français parlé, 3^ éd., trad. par E. Philipot, Paris, 19 14.
RoussELOT et F. Laclotte, Précis de Prononciation Française, Paris, 1903.
M. Grammont, Traité pratique de Prononciation française, 2' éd., Paris, 1921.
INTRODUCTION
I
Origine et Formation de la Langue française.
1. La laiigite française appartient à la famille des langues romanes. Elle est. dans son fond essentiel (mots, formes, groupement des mots), une transfor- mation de la langue latine.
2. Le latin était à l'origine un idiome assez fruste, parlé dans le Latium à l'embouchure du Tibre, et proche parent des autres dialectes italiques qui l'en- touraient (l'Osque au sud-est, YOmbrien au nord). A Rome, une distinction s'établit avec le temps entre le latin classique (sermo urbanus) dont se sont servis les écrivains comme Cicéron, César, Virgile, etc., et le latin vulgaire (sermo plebeius) dont usait le peuple. Le latin classique ou littéraire s'était poli au contact de la culture grecque, et fut arrêté dans son évolution par les grammairiens ; le latin vulgaire ou parlé, tout
XII —
en conservant des traces d'archaïsme, se développa au contraire librement. Au cours des siècles, ces deux formes du latin en vinrent à diverger assez profondé- ment entre elles par leur prononciation, leurs flexions, leur syntaxe : elles différaient aussi par l'emploi d'un vocabulaire en partie distinct.
3 . C'est essentiellement du iatiti vulgaire, importé par les soldats, les colons, les commerçants, dans toutes les parties de l'empire romain (sauf en Orient), et adapté aux organes vocaux de peuples divers, que sont sorties les langues romanes. Ces langues sont au nombre de sept principales, qui se répartissent géogra- phiquement en trois groupes : i° groupe du Sud- Est, comprenant Vitalieti, parlé dans la péninsule ita- lique ; le rhétique, parlé dans les Grisons, le Tyrol et le Frioul ; le roumain, parlé dans le bassin inférieur du Da«ube ; 2° groupe du Sud-Ouest, comprenant l'espagnol et le portugais, parlés dans la péninsule ibé- rique ; 3° groupe du centre, comprenant le provençal et le français, parlés sur le territoire de l'ancienne Gaule.
4. Avant l'établissement des Romains dans la Narbonnaise (125-118 av. J.-C.) et la conquête du reste de la Gaule par Jules César (58-51 av. J.-C), les Gaulois parlaient une langue celtique se rattachant
XIII —
à un des groupes de la fomille indo-européenne (indo-iranien , tokharien, arménien, grec, italique, cel- tique, germanique, ballo-slave, albanais). Un des résul- tats de la conquête romaine fut l'effacement progres- sif des idiomes gaulois, qui n'ont laissé dans notre vocabulaire que des traces insignifiantes (termes rustiques) ; puis la diffusion (achevée par la prédica- tion chrétienne) de la langue latine qui, à la fin du iv^ siècle, lors de la dissolution de l'Empire, était devenue sous sa forme vulgaire la seule langue par- lée en Gaule. Les grandes invasions du v^ siècle, l'établissement successif des Wisigoths, .des Bur- gondes, des Francs, au milieu des populations gallo- romaines, vinrent hâter l'altération de ce latin vul- gaire, et introduisirent dans son lexique un assez fort contingent de mots germaniques (termes de guerre et de droit, noms d'objets usuels).
5. Des textes du v[i'= et du viii^ siècle prouvent que, vers la fin de la période mérovingienne, le latin vulgaire s'était déjà transformé, surtout par des chan- gements phonétiques, en une langue nouvelle, qu'on appelait lingua romana rustica. Mais cette langue romane de l'ancienne Gaule prit assez rapidement des caractères différents, suivant qu'elle était parlée au Nord ou au Midi. Au Sud (dans le bassin de la Garonne, le Limousin, l'Auvergne et le bassin du
— XIV —
Rhône au-dessous de Lyon), elle devint la langue d'oc, dont \q provençal des Troubadours îwl au moyen âge la forme littéraire. Au Nord, elle devint la langue d'oïl, dont le français est la forme moderne, et dont les Ser- ments de Strasbourg, prononcés en 842, sont le plus ancien monument, avec la Cantilèned'Eulalie compo- sée aux environs de l'an 900.
6. La langue d'oïl, telle qu'on la parla du ix^ siècle au xiv% comprenait pendant le moyen âge un certain nombre de dialectes, distincts entre eux surtout par des différences de prononciation. Ces dialectes, dont les limites ont toujours été un peu flottantes, et aux- quels on a conservé les noms de nos anciennes pro- vinces, étaient : 1° au Nord-Est, le picard et le wallon ; 2° à TEst, le champenois^ le lorrain, \q franc- comtois, le bourguignon ; 3** à l'Ouest, le sainlongeois,
• le poitevin, l'angevin; 4° au Nord-Ouest, le normand ; 5° au Centre enfin, dans le bassin moyen de la Seine et la région d'entre Seine et Loire, le dialecte de l'Ile- de-France.
7. C'est ce dialecte de l'Ile-de-France, sous la forme spéciale où on le parlait à Paris, qui, pour des motifs politiques, a fini par supplanter les autres comme langue littéraire. Dès la fin du xii'^ siècle il affirmait sa prééminence, et se répandit de plus en
XV
plus en raison directe des progrès de la royauté et de la centralisation administrative qui en fut la conséquence. Toutefois, c'est seulement à partir du xv* siècle que les autres dialectes (y compris ceux de la langue d'oc au midi) furent définitivement réduits à l'état de patois. Mais, à ce moment-là, la langue centrale elle- même était en pleine crise de transformation (perte de l'ancienne déclinaison à deux cas, simplification des formes verbales, influence croissante du latinisme, etc.) : elle ne reprit vraiment son équilibre et ne trouva son type définitif qu'à la suite des réformes de Malherbe et de Vaugelas, consacrées par les chefs- d'œuvre classiques du xvii^ siècle.
8. L'histoire de notre langue peut en somme se diviser en trois périodes qui ont chacune un caractère assez spécial : période de Y ancien français (du ix'' siècle à la fin du xiii*) ; période transitoire, dite du moyen français (xiv=-xvi^ siècles) ; période du français moderne (du début du xvii^ siècle à nos jours).
9. Les éléments qui constituent le vocabulaire de la langue française sont de deux sortes : populaires ou à'empnmt. L'élément populaire, qui est le fond solide et véritablement originel de notre langue, se compose des mots du latin vulgaire transformés sous l'action des lois phonétiques, des mots qui en ont été tirés
XVI
par voie de dérivation ou de composition, enfin des vocables germaniques d'introduction ancienne. L'élé- ment d'emprunt comprend d'abord tous les mots savants (latins ou grecs), qui, depuis l'origine, mais surtout à partir du xiv^ siècle, ont été directement transportés dans la langue et francisés d'ime façon plus ou moins artificielle. Il comprend, en outre, des termes étrani^ers qui se sont acclimatés chez nous à différentes époques : mots orientaux datant surtout des Croisades ; mots italiens, importés principalement au xvi"" siècle ; mots espagnols et allemands modernes au xvii'' ; mots anglais au xix% etc.
10. L'évolution régulière des sons peut être avant tout suivie et constatée dans Vêlement populaire de la langue. Une élude historique de la phonétique française a donc essentiellement pour objet d'établir d'après quelles lois les mots latins se sont transformés dans une région donnée (Paris et l'Ile-de-France) pour devenir des mots français : elle consiste, autrement dit, à noter les changements successifs qu'ont subis les sons et les articulations pour arriver jusqu'à nous. Une telle étude suppose la connaissance préalable de quelques principes généraux, qui vont être exposés dans la seconde partie de cette Introduction.
II
Notions de Phonétique générale. LE SON.
1 . Le so?i est produit par les vibrations d'un corps élastique, qui se transmettent sous forme d'ondes sonores jusqu'à l'organe de l'ouïe.
2. Lorsque les vibrations sont rythmiques et régulières, elles donnent à l'oreille l'impression d'un son musical (note de piano). Lorsqu'elles sont irrégu- lières, c'est-à-dire séparées par des intervalles iné- gaux, elles donnent l'impression d'un bruit (grince- ment d'une scie).
3. Le son (et cela s'applique surtout au son musi- cal) renferme quatre éléments distincts : Vintensité, la hauteur, la durée et le timbre.
a) Vintensité d'un son dépend de Vamplitude des vibrations et des ondes sonores qui en résultent.
b) La hauteur est en relation avec la rapidité du mouvement vibratoire, ' autrement dit avec le nombre de vibrations exécutées pendant une seconde (la
i
— XVIII
seconde étant prise comme unité de temps). Plus les vibrations sont rapides, plus le son est aigu.
c) La durée est variable elle aussi; puisqu'un son est toujours susceptible de se prolonger plus ou moins longtemps.
^) Quant au timbre, qui est à certains égards la qualité essentielle et caractéristique, il résulte d'une combinaison qui s'opère entre le son fondamental et les sons accessoires appelés harmoniques . Les timbres diffèrent les uns des autres par la nature des harmo- niques qui accompagnent le son fondamental.
4. En résumé, le son est quelque chose d'essentiel- lement complexe : mais il a pour nous une apparence d'unité parce que l'oreille fait une synthèse incons- ciente des éléments composants.
SONS DU LANGAGE.
5 . Ce qui vient d'être dit du son en général peut s'appliquer aux sons du langage, ceux qu'émet l'homme pour communiquer sa pensée, et qu'il produit par expiration. Le phénomène de la parole (dans ce qu'il a de matériel) se ramène en effet ci un mouvement expiratoire, celui d'une colonne d'air chassée des poumons, et qui atteint l'orifice extérieur en éprou- vant certaines modifications.
6. On voit dès lors quelles parties de notre orga-
XIX —
nisme sont mises en jeu pour h production de la parole. Ce sont :
a) V appareil respiratoire. ;
h) Le larynx, avec les cordes vocales ;
c) Les cavités antérieures (buccale et nasale), avec leurs annexes : la langue, les dents, les lèires, le palais dur et mou.
7. La colonne d'air expirée, pour aboutir à l'ori- fice extérieur, doit traverser une sorte de tube, un canal étroit, mais qui s'ouvre ou se rétrécit plus ou moins. L'ouverture atteint son maximum, lorsque nous pro- nonçons le son a. Lorsque nous prononçons au con- traire un son comme p, il y a une fermeture momen- tanément complète du canal qui livre passage à l'air. En conséquence, les sons du langage difterent d'abord essentiellement entre eux par suite du degré d'ouver- ture.
8. D'autre part, si nous prenons deux sons comme p et t, il serait facile de vérifier que le degré d'ouverture est le même (c'est-à-dire momentané- ment nul) pour les prononcer tous les deux. Ces sons cependant ne se confondent point entre eux, et cela provient de ce que l'occlusion na pas lieu dans la même partie de la cavité buccale. En conséquence, les sons du langage diffèrent non seulement par suite du degré d'ouverture, mais aussi par la région de la
— XX —
cavité buccale où se trouve leur point d'articulation. Autrement dit, on doit chercher à les classer en les localisant par rapport aux différentes parties de la bouche.
9. On voit, d'après ce qui précède, qu'il n'y a pas de différence absolue, au point de vue du mécanisme de l'articulation, entre ce que nous appelons voyelle et ce que nous nommons consonne. Si la distance est très grande entre a et p, elle est^ d'autre part, assez faible entre / et y (consonne), entre u et w, etc. Il serait donc facile de classer tous les sons du langage dans un tableau unique, où ils se suivraient d'après les principes d'ouverture et de localisation qui viennent d'être esquissés. Nous nous en tiendrons cependant à la division traditionnelle, qui a d'ailleurs sa raison d'être.
10. Au point de vue acoustique, en effet, la sépa- ration redevient assez nette entre voyelles et consonnes, les premières étant toujours ce que nous avons appelé plus haut des sons musicaux, les autres au contraire étant en général des bruits. Comme l'orifice généra- teur est plus étroit pour prononcer les consonnes, il se mêle toujours au son laryngien certains frotte- ments : de là aussi leur sonorité relativement faible, et le besoin qu'elles ont parfois d'être unies à une voyelle, pour devenir bien distinctes.
XXI —
VOYELLES.
II. Les vo)^elles, comme leur nom l'indique, sont le produit de la voix proprement dite. Leur caractère commun est d'être proférées avec une vibration des cordes vocales. Quant à la diversité de leurs timbres, elle résulte essentiellement des mouvements de la langue qui donne une forme et un volume spécial à la cavité buccale jouant le rôle de résonateur.
T2. On peut dresser des principales voyelles le tableau suivant :
PALATALES |
VÉLAIRES |
|||
Fermées |
/ |
il |
U |
|
f |
œ |
0 |
||
Ouvertes |
f |
q- |
0 |
|
a |
à |
Le son de ces onze voyelles est celui qui s'entend respectivement dans les onze mots français suivants : Nid [ni'] ; dé Idê] ; sel [seï] ; patte [pat] ; pas [pà] ; port [por] ; pot [po] ; tour [tnr] ; fleur [flœr] ; peu [pœ]\ mur [/«wr].
13. Voici, d'autre part, les explications essentielles qu'appelle le précédent tableau :
XXII —
a) Dans la tranche horizontale du bas a été placé Va (avec sa variété vélaire â), qui est la voyelle la plus pure, fondamentale en quelque sorte : c'est celle qui se prononce la bouche grande ouverte, avec un point d'articulation entre le palais dur et mou.
h) Pour les voyelles de la première colonne verti- cale (i, e, f), le point d'articulation est près du palais dur : ces voyelles sont donc dites palatales. On les appelle aussi voyelles d'avant ; ou bien aiguës, parce qu'au point de vue acoustique elles produisent un son aigu. C'est uniquement par leur timbre qu'elles diffèrent entre elles, autrement dit par le degré d'ou- verture : / par exemple n'est qu'un e plus fermé, etc.
c) Pour les voyelles de la dernière colonne verti- cale (w, 0, g), le point d'articulation est près du voile du palais : ces voyelles sont donc dites vélaires. On les appelle aussi voyelles d'arrière; ou bien graves, parce qu'au point de vue acoustique elles produisent un son grave. C'est uniquement par leur timbre qu'elles diffèrent entre elles, autrement dit par le degré d'ou- verture : Il par exemple n'est qu'un ç plus fermé, etc.
d} Restent encore les voyelles de la seconde co- lonne verticale (û, œ, ce). Au point de vue de la loca- lisation, elles se rapprochent de celles de la première série, et sont aussi des voyelles palatales. On les appelle d'ordinaire palatales anormales ou arrondies, parce que, tout en étant formées avec application du
XXIII
dos de la langue contre le palais, elles le sont en même temps avec une ouverture arrondie des lèvres en quelque sorte contradictoire (la même que celle qui accompagne les voyelles "vélaires). Pour pro- noncer û par exemple, la position de la langue est la même que pour i ; mais les lèvres sont arrondies comme pour prononcer n. Le timbre de ces voyelles n'est pas aussi net que celui des autres, et beaucoup de langues (notamment le latin) ne les possèdent pas. — Observons que les cases de la troisième colonne verticale sont ici restées vides : elles pourraient être occupées par des vélaires anormales. Mais ces voyelles (ainsi que les moyennes, intermédiaires entre les pala- tales et les vélaires) sont assez rares ; elles ne se ren- contrent ni en français, ni généralement dans les autres langues romanes.
t') Enfin, conformément à l'aspect que présente le tableau, les voyelles des tranches horizontales du bas sont ouvertes, et celles du haut sont fermées : on les appelle aussi quelquefois respectivement voyelles basses et voyelles hautes, par rapport à la position que prend la langue pour les articuler.
14. Toute voyelle est susceptible d'être nasalisée, si, en la prononçant, on abaisse le voile du palais, de façon à laisser passer par le nez une partie de la colonne d'air. Ce phénomène se produit d'ordinaire
— XXIV
par suite du voisinage d'une des consonnes n, m (cf. 19, d). La résonance du nez s'ajoute alors à celle de la bouche et la modifie : mais ces deux résonances se combinent, elles sont simultanées, et une voyelle nasale ne se compose pas de deux sons.
Les quatre voyelles nasales les plus ordinaires sont à, è, ô, œ, qui s'entendent dans les quatre mots fran- çais : Sang [sa\ ; vin [ve\ ; son \s6\ ; brun [brcî]. Ces voyelles nasales (par rapport auxquelles les autres sont dites pures ou orales^ correspondent respectivement à â, e, 0, œ., voyelles ouvertes et basses qui se nasa- lisent plus facilement que les autres, étant donné que l'élévation de la langue gêne toujours un peu l'abais- sement du voile du palais.
Comme la position de la langue est la même pour à eto, pour ^ et à ; comme d'autre part à et e doivent se produire sans avancement des lèvres, mais ô tl œ avec un avancement, il en résulte que : 1° si l'on avance les lèvres en prononçant à, on obtient ô ; 2° si l'on n'avance pas les lèvres en prononçant œ, on aboutit à è.
15. Les sons différant entre eux non seulement par leur qualité mais aussi par leur durée (voir plus haut 3, r), toute voyelle est susceptible d'être longue, mi- longue ou brève : ce qui revient à dire qu'on peut la prononcer en la prolongeant plus ou moins. On ne
XXV —
distingue d'ordinaire que deux degrés de quantité pour chaque voyelle : en latin, par exemple, Va de Jiâsus était long, celui de mare était bref.
i6. Enfin deux voyelles successives peuvent se jux- taposer très étroitement et être prononcées d'une seule émission de voix : il se produit alors ce qu'on appelle une diphtongue. La diphtongue est dite décrois- sante, si le premier élément y est articulé avec plus de force que Tautre (italien //// « lui »); elle est croissante, si c'est le dernier (italien pieno « plein »). — Une triphtongue est la réunion de trois voyelles en une seule syllabe (italien buoi « bœufs «).
CONSONNES.
17. La consonne, par rapport à la voyelle, n'est qu'un degré de fermeture de plus : mais elle en dif- fère aussi en ce qu'elle peut être accompagnée ou non des vibrations du larynx. Il y a donc des consonnes qui participent à la nature du son musical et à celle du bruit ; il y en a qui sont de purs bruits. Les unes sont dites sonores (g, d, h, etc.), et les autres sont dites sourdes (k, t, p, etc.). Comme les sourdes exigent de la part des organes vocaux un effort plus considérable, on leur donne aussi le nom de fortes, et celui de faibles aux sonores.
18. On peut dresser des principales consonnes le tableau suivant :
XXVI
|
(0 |
||||
w |
|||||
kJ |
|||||
< |
:^ |
||||
m |
l ^ |
-ex, -c. |
g |
||
w |
\ 1 |
||||
^ |
1 - |
||||
< |
; cQ |
||||
\ 1 |
|||||
S |
=2 |
||||
<; |
/ w W5 |
||||
U |
Labiod TALE |
"--. 5. |
|||
1 ; z |
|||||
w c« |
|||||
Ci w |
/""N z**"^ |
||||
a: J |
a? -^o |
||||
w < |
v,_.> ^'*— -^ |
||||
H H |
|||||
l ïî |
|||||
co |
1 —^ |
||||
W |
\ ^ |
||||
hJ |
ïï |
— ^ |
|||
<; |
/ < |
||||
î-1 |
\ f^ |
^ >v |
c=î |
S |
|
:z |
1 z J W |
||||
w Q |
/ ° |
||||
■ J 1 "^ |
|||||
I-) U1 |
|||||
' < W |
|||||
a; hJ |
>^ ^t<^ |
||||
•w < |
|||||
« H |
|||||
fo |
|||||
1 1^' |
|||||
W |
|||||
en |
< |
||||
W |
" |
?-^ |
-—) |
?:) |
|
< Pi |
) ^ |
||||
p |
|||||
H |
1 ^- |
||||
H |
/ '^ |
/'■^ ,/ — «^ |
CT^ |
^ — ^ |
|
P |
f < |
-ii «^/5 |
X î- |
V ' |
■~ |
O |
\ > |
^^-^ " — ' |
V- |
||
t/5 |
C/5 |
C/5 |
|||
> |
rt |
||||
a. |
u |
^ > |
es |
XXVII
Ce tableau nécessite quelques explications, les con- sonnes s'y trouvant classées dans un certain ordre, suivant qu'on les envisage par tranches horizontales ou verticales. Notons tout de suite : i" que, dans chaque carreau, la sonore a été placée au-dessous de la i'own/g correspondante, lorsqu'il y avait lieu d'établir entre elles une distinction ; 2° que les consonnes, qui n'existent pas dans la prononciation actuelle du fran- çais, ont été mises entre ( ).
19. Horizontalement, les consonnes ont été clas- sées d'après le mécanisme de leur formation. Elles sont explosives, fricatives, vibrantes ou nasales :
fl) Explosives. — Ce sont des consonnes (k, t, p, etc.) qui se produisent avec une occlusion momenta- nément complète du canal buccal, puis une ouverture brusque laissant échapper la colonne d'air.
^) Fricatives. — Ce sont des consonnes (y, s, s, /, etc.) pour lesquelles l'occlusion est incomplète. Le canal, qui laisse passer la colonne d'air, se trouve rétréci sur divers points, de façon à produire un frot- tement prolongé, d'où le nom de continues qu'on leur donne parfois.
c) Vibrantes. — Ce sont des consonnes qui sont produites avec interposition d'un obstacle tremblo- tant (la luette pour r uvulaire, le bout de la langue pour R dental); ou bien l'air s'échappant de chaque côté de la langue (pour /, vibrante latérale).
— XXVIIl —
d) Nasales. — Ce sont des consonnes (n, m) pour lesquelles l'occlusion est complète comme pour les explosives : elles s'en distinguent seulement en ce que, le voile du palais restant baissé, l'air s'échappe par le nez. Les nasales et les vibrantes sont souvent réunies sous le nom commun de liquides.
20. Verticalement, les consonnes ont été classées d'après leur localisation dans la cavité buccale. Elles se forment en effet dans trois régions distinctes, qui comportent elles-mêmes certaines subdivisions.
21. Les consonnes de la i^" région (auxquelles on peut joindre l'aspirée lar3mgienne h, qui n'a pas été notée sur le tableau) sont les Gutturales : elles sont dites vélaires, si leur point d'articulation se trouve près du voile du palais ; palatales, s'il est près du palais dur.
a) Les vélaires, qui sont les plus intérieures des consonnes, comprennent : i° deux explosives, la sourde k et la sonore g (fr. car, gare) ; 2° deux fri- catives, la sourde y et la sonore y (inconnues du français actuel ; c'est le ch allemand de ach « hélas », et le g de wagen « oser »); 3° deux vibrantes, r uvu- laire (le r normal du français actuel) et / (/ guttural, inconnu du français actuel ; c'est celui du russe palka « bâton ») ; 4° une nasale ;/ (;/ guttural, inconnu du
XXIX
français actuel ; c'est celui qui s'entend au milieu du mot allemand singen « chanter »).
h) Les palatales comprennent : i° une fricative y, dite parfois semi-consonne ou semi-voyelle (c'est l'élément souvent appelé yoâ, celui qui s'entend au début des mots fr. yeux, yacht) ; 2° une vibrante / (le / dit mouillé, celui qui s'entend dans l'italien figlia « fille », ou dans le mot fille prononcé par certains Français du Midi); 3° une nasale ij (le n dit mouillé, celui du fr. vigne). — Les explosives k et g doivent aussi être considérées comme pouvant en certains cas se palataliser (devant les voyelles palatales, par exemple dans la prononciation populaire du fr. qui, gui).
22. Les consonnes de la 2^ région sont les Dentales, comprenant des dentales proprement dites, des prépa- latales et des interdentales.
a) Les dentales proprement dites sont : 1° deux explosives, la sourde t et la sonore d (fr. tour, dé), qui s'obtiennent avec fermeture momentanément complète du canal, lorsque le bout de la langue vient toucher l'extrémité des dents supérieures ; 2° deux fricatives correspondantes, la sourde s et la sonore ^ (fr. sang, ^èle), qui s'obtiennent par un mouvement identique des organes, mais avec fermeture incom- plète ; 3° deux vibrantes, r (autrefois usité en fran-
— XXX —
çais, conservé dans certaines provinces) et / (le / français ordinaire, celui de ///) ; 4° une nasale dentale n (celle du fr. nid').
F) Lorsque le bout de la langue prend contact, non plus avec les dents (comme pour prononcer s, ;{), mais avec le palais dur, il se produit deux autres fricatives dites prépalatahs, la sourde s et la sonore ;( (celles du fr. chanta genre).
c) Lorsque le bout de la langue, au lieu de toucher l'extrémité des dents supérieures (comme pour pro- noncer s, ;{), vient se placer entre les dents d'en haut et celles d'en bas, il se produit deux autres fricatives dites interdentales, la sourde 0 et la sonore 0 (incon- nues du français actuel ; c'est le th anglais dur ou doux de thin « mince », the « le »).
23. Les consonnes de la j^ région (la plus exté- rieure de toutes, puisque le point d'articulation con- fine aux lèvres) sont les Labiales, qui se subdivisent en bilabiales et labiodentales.
a) Les bilabiales comprennent : 1° deux explosives, la> sourde p et la sonore b (fr. pas, but) formées avec occlusion momentanément complète des lèvres ; 2° deux fricatives, qui se produisent avec occlusion incomplète, w et ïù (les sons qui s'entendent dans le fr. oui, puits, et qui sont très voisins des voyelles u, û) ; 3° une nasale labiale m (le m français ordinaire, celui de mort).
XXXI
b) Les labiodentales comprennent seulement deux fricatives, la sourde/ et la sonore v (fr. fort, vin), qui s'obtiennent en appliquant la lèvre inférieure, non plus sur la lèvre supérieure, mais contre l'extrémité des dents d'en haut.
ÉVOLUTION PHONETIQUE.
24. Toute langue, envisagée à un moment déter- miné, possède avec une fixité relative un certain nombre de sons (voyelles, diphtongues, consonnes) : chacun de ces sons cependant ne doit jamais être con- sidéré que comme une moyenne faite entre les nuances presque infinies des prononciations individuelles. Au cours des siècles, les sons dont se composent les mots d'une langue varient et se transforment ; ils s'altèrent avec plus ou moins de rapidité, suivant les époques et la diffusion de l'enseignement public : mais on peut poser en principe qu'en se transmettant d'une génération à une autre les sons du lano;a2:e ne restent jamais exactement les mêmes. C'est dans cet incessant mouvement de transformation que consiste ce qu'on appelle Vévolution phonétique.
25. Cette évolution a pour caractères essentiels d'être inconsciente, graduelle, et de s'opérer d'après des lois constantes et corrélatives.
XXXII
fl) Tout d'abord elle est inconsciente, ce qui veut dire qu'elle ne dépend pas de la volonté des individus qui parlent : ceux-ci, en répétant un mot qui leur a été transmis, recherchent toujours la correction des mouvements, mais sans parvenir à l'atteindre. Lors- qu'à un moment donné, au lieu du mot latin vita, les Gallo-Romains ont prononcé *i'ida, c'est toujours vita qu'ils croyaient faire entendre.
b) En second lieu, l'évolution est graduelle : il faut entendre par là que les sons dont un mot se compose ne s'altèrent pas tous en même temps, et que chacun d'eux pris à part n'arrive que par degrés à l'état où nous le trouvons aujourd'hui. Ainsi le mot latin pacare, qui est dans notre langue française ^ciMÛlt payer [pfj'f], n'a abouti à cette nouvelle pro- nonciation qu'en passant par des étapes intermédiaires nombreuses, dont la plus ancienne a été une transfor- mation de pacare en *pagare. Le mot bôvem a été autrefois en français buef[buef], avant d'être comme aujourd'hui bœuf[bœf].
c) Enfin l'évolution phonétique a lieu d'après des lois constantes, si on l'envisage dans un groupe de population réuni par des liens sociaux étroits et constituant une unité linguistique. Ce qui signifie, pour prendre un exemple, qu'étant donnés plusieurs mots où se faisait entendre en latin un même son, ce son dans les différents mots français correspondants
XXXIII —
s'est transformé d'ane façon identique. Le c qui se trouvait entre deux voyelles dans pacare étant devenu g à un moment donné Ç*pagare), on doit s'attendre pour des mots comme necare, baca à la même trans- formation (*iiegare, *baga). Uô accentué du latin flô- reiii ayant abouti à eu [œ\ dans le français fleur, on doit s'attendre à retrouver le même changement dans des mots comme sapôreiii, calôrein (cf. le fr. saveur, chaleur^.
Les lois ne sont pas seulement constantes, elles sont encore corrélatives les unes par rapport aux autres : il se manifeste à tout le moins une certaine symétrie entre elles. Si iuica devient *iinga, — ce qui revient à dire que l'explosive sourde vélaire s'est affai- blie en la sonore correspondante, — il faut s'attendre à voir en même temps vita passer à *vida et ripa à *riba, c'est-à-dire les explosives dentales ou labiales subir, lorsqu'elles sont dans la même situation, un changement parallèle. Dans une langue comme le français, où l'ancienne diphtongue latine au s'est réduite àp simple {or prononcé or, de aurnni)^ il ne sera pas étonnant de voir la diphtongue ai se réduire à son tour à e simple (jnai prononcé me, de uiajurri).
26. Comme on a pu le constater déjà d'après les exemples précédemment cités, l'évolution phoné- tique n'atteint pas forcément tous les sons d'un mot :
— XXX IV —
il en est au contraire qu'elle laisse inlacts. C'est ainsi que dans le mot latin tdla, devenu en français toile (prononcé tiual), les deux consonnes t et / ont gardé leur prononciation primitive, tandis que IV accentué aboutissait au son complexe tua, et que Va final s'af- faiblissait en un e dit muet. Dans le mot chat [sa], venant du latin cattum, nous pourrions inversement constater que la voyelle a qsi restée intacte, tandis que le c initial passait au son s, et qu'un t devenu final s'effaçait dans la prononciation.
2.7. Les phénomènes par lesquels se manifeste l'évolution phonétique sont : i" \:\ transformation à'un son en un autre; 2° \q dédoublement d'un son; 3° la production d'un son nouveau ; 4° ï effacement d'un son.
a) Les sons peuvent se transformer par un change- ment dans la façon dont ils sont articulés : l'explo- sive labiale p, qui se trouvait au milieu du mot latin saponem, est devenue la fricative v dans le fran- çais savon. Ils peuvent aussi subir une modification de place, ce qui est le cas pour 1'// latin de dura, devenu il dans le français dure [dilr\, ou pour le c de cera [kera], passé à s dans cire [sir]. Les consonnes sont susceptibles de se transformer parfois en voyelles (tr, aube, du latin alba), -et les voyelles en consonnes (fr. sache, du latin sapïam).
/») Pour articuler un son, les organes vocaux
XXXV
prennent d'abord une certaine position, puis la main- tiennent, et enfin la quittent : de là trois périodes articulatoires qu'on appelle d'ordinaire la tension, la tenue, la détente. Si, par rapport à la période centrale qui est essentielle, le mouvement préparatoire de ten- sion, ou le mouvement final de détente viennent à se prolonger, il en résulte que le son peut se dédoubler soit en avant, soit en arrière : chacun des éléments composants prend alors une vie à part, tout en se diflférenciant de l'élément voisin. C'est par ce proces- sus que les voyelles latines (du moins celles qui étaient prononcées avec intensité) se sont fréquemment diphtonguées au cours des siècles : ainsi le mot niël a été peu à peu prononcé *ni(el puis *nieel, et miel par une différenciation plus forte. Les consonnes elles aussi peuvent se segmenter, si quelque hésita- tion ou quelque retard se produit dans leur articula- tion, et c'est pour cela que le îu initial s'est modi- fié dans le mot germanique iverra devenu *oiverra (fr. guerre).
c) A ce processus du dédoublement par segmenta- tion est très intimement lié ce qu'on appelle la pro- duction d'un son nouveau. Ainsi dans le mot latin scutum, devenu en fr. escu, écu, il s'est développé à l'initiale une voyelle e qui provient en réalité de la difficulté d'articuler le groupe complexe se, et n'a été à l'origine qu'un souffle énergique. Dans notre adjec-
— XKXVI —
ï\î tendre, qui remonte au latin îenërum par un inter- médiaire *tenre, il s'est développé entre n et r une con- sonne transitoire d, dont la nature dentale a été con- ditionnée par le ;/, et qui n'en est en réalité qu'une sorte de segmentation ou de prolongement différen- cié.
d) Enfin les sons, par suite d'un relâchement dans la prononciation portant sur un point donné, en arrivent souvent à n'être plus qu'un souffle vain et à disparaître complètement. C'est ainsi que la seconde voyelle du verbe latin vendère s'est effacée dans le fr. vendre, et que le / du mot nativnm n'est plus repré- senté par rien dans la forme correspondante naïf.
28. D'un autre point de vue les changements pho- nétiques peuvent se répartir en deux grandes classes, suivant qu'ils sont spontanés ou dépendants. Un chan- gement est dit spontané, lorsqu'il se produit en dehors de toute influence des sons voisins : tel est le passage de îi à il, dans le français J/^r^ \dur] remontant à. dura. Il est dit dépendant, lorsqu'il est, au contraire, condi- tionné par la nature des sons environnants : tel est le passage dec à.ç dans le français cire [sir], remontant au latin cera [kera].
29. Les changements dépendants, qui sont de beau-
XXXVII —
coup les plus fréquents, doivent être considérés comme essentiellement dus à V assimilation ou à la dissimilation.
a) U assimilation est la tendance qu'ont deux sons voisins à s'emprunter une partie de leurs caractères : elle peut être partielle ou totale. Dans le latin sapiani, devenu en français sache [^sas\ /est passé à la fricative sourde prépalatale s sous l'influence de p, qui est une explosive sourde (cf. rage, remontant à rabia) : l'assimilation n'est que partielle. Elle a été au con- traire totale pour le t de nutrire, qui aboutit à r dans le français nourrir (par une étape *Mo^nV<^). L'assimila- tion est dite progressive, lorsqu'elle s'exerce d'avant en arrière (cas de sache == sapiam), et régressive, lorsqu'elle s'exerce d'arrière en avant (cas de )iourrir = nutrire).
b) La dissimilation (qui peut également être pro- gressive ou régressive) est la tendance qu'ont deux sons semblables dans un même mot à se difterencier : elle s'exerce souvent d'une syllabe à une autre. C'est par dissimilation que le premier o de sororem, placé devant un autre o, est devenu e dans l'afr. seror ; que le premier r de peregriniim est passé à / dans le fr. pèlerin ; que le second v de vivenda s'est effacé dans le fr. viande.
30. Envisagée dans son ensemble, l'évolution pho-
XXXVIII —
nétique paraît s'être produite avec une tendance à économiser l'effort. Si les générations successives — sur- tout aux époques d'ignorance où la discipline gram- maticale est nulle — laissent les sons s'altérer, c'est par une paresse instinctive, et pour rendre la pronon- ciation plus facile. Si, à un moment donné, ripa est devenu dans la bouche des Gallo-Romains *riba, c'est qu'il est plus commode, entre deux voyelles, de faire entendre une sonore b, qu'une sourde p, pour laquelle doivent être interrompues les vibrations du larynx ; *riba est ensuite passé à rive, par un nouveau relâche- ment dans la tension des muscles destinés à barrer le passage au souffle. Lorsque, vers le xii'^ siècle, les Fran- çais ont réduit à e le son ay du mot mai (majum), c'est qu'il était plus aisé de prononcer une voyelle simple qu'une diphtongue. 11 y a eu diminution de travail dans tous ces changements, et la dégradation peut aller parfois si loin qu'un mot nécessitant le jeu d'articulations complexes, comme le latin aiigus- tum, s'est réduit pour nous au simple son // (écrit août).
31. Tout cela prouve d'ailleurs, loin de l'infirmer, la constance des lois phonétiques et leur régularité. Cette régularité serait absolue (pour un groupe de population parlant un idiome donné), si elle n'était entravée par Vactioii de l'analogie, qui modifie parfois
XXXIX —
les résultats de l'évolution mécanique des sons, en faisant intervenir une force d'ordre intellectuel, et en instituant des rapprochements plus ou moins légitimes, souvent fortuits. C'est ainsi que, dans la conjugaison surtout, les diverses formes ont fréquem- ment en français réagi les unes sur les autres : le vieil infinitif fl;;;^r(= amare) a été remplacé pur aimer, sous l'influence de aime (transformation régulière du lat. amat) ; la forme preuve (= prôhat) par prouve, sous l'action de prouver (=^ prôbâre), etc. Dès l'époque latine, un mot comme gravent avait été changé par le peuple en *grevem (fr. grief), à cause de Jëvem dont le sens était opposé ; de même reddere était passé à *rendere (fr. rendre) sous l'in- fluence de prendere. Plus tard en français, le mot perier (^= pïrârium) est devenu poirier, à cause de poire (= pïra) ; le substantif ///^î^rg (=môra) est devenu mtîre par suite d'un rapprochement avec l'adjectif mûre (=^ matûra). L'orthographe elle-même peut quelque- fois réagir sur la prononciation, surtout dans une langue comme le français, où elle a cessé depuis longtemps d'être phonétique pour obéir de plus en plus à des préoccupations étymologiques : ainsi, dans le mot oscur (transformation régulière de obscurum), les scribes et les savants ayant réintroduit graphique- ment le h latin, ce b a fini par se faire entendre dans notre forme obscur. Bref, les faits adventices sont
XL —
multiples, et d'allure parfois capricieuse : mais ils ne servent, en un sens, qu'à faire mieux ressortir les grandes lois de l'évolution.
PREMIERE PARTIE VOYELLES
CHAPITRE I. — LES VOYELLES LATINES. — LOI DE L'ACCENT.
I. — Les Voyelles latines.
1. Le latin classique possédait les cinq voyelles suivantes :
a e i 0 H.
Ces- cinq voyelles pouvaient toutes être longues ou brèves, c'est-à-dire que leur émission était plus ou moins prolongée. Ainsi o était long dans flore, bret dans rnôla.
Remarque I. — Il est possible que ces voyelles aient eu dès l'origine des timbres distincts, les longues étant fermées, les brèves plus ouvertes : mais elles différaient surtout par la^ durée de leur prononciation.
Remarque II. — En latin, une voyelle suivie de plusieurs consonnes n'était pas longue de ce fait ; elle pouvait être brève par nature et restait telle dans la prononciation. Dans un mot
comme arista (a-ris-ta), c'est la seconde syllabe qui est longue et a cette valeur, notamment chez les poètes, parce que c'est une syllabe fermée (terminée par une consonne) : 1'/ de arista n'en est pas moins un /. On a de même un ê dans têctti, mais un é"" dans k'ctu ; un 7 dans lîlla et un ; dans ïlîa, etc.
Remarque III. — Les Latins rendaient ordinairement par le signe graphique y. l'upsilon des mots venus du grec. En réa- lité cet y se prononçait n dans les emprunts les plus anciens (bilrsa = byrsa, thilnmi r= thynnum), tandis qu'il a pris la valeur de / long ou bref dans les emprunts plus récents (clma = cyma, presbUeru = presbyterum).
2. Le vocnlisme du latin vulgaire ou parlé a éprouvé de graves modifications pendant la période impériale. Les voyelles ont cessé peu à peu d'être prononcées longues ou brèves, et en sont venues à différer entre elles seulement par le timbre.
Toutefois pour Va il ne s'est pas produit de dis- tinction très sensible. De plus Vt a pris le même timbre que Vê, et 1'// le même timbre que Vô. Il en résulte qu'au terme de l'évolution, on a obtenu en tout sept voyelles («, e, ç, i, o, o, //), dont la correspon- dance avec celles du latin classique est la suivante :
a vulgaire ■= à, à classiques {câru, mare)
e — = ^" — {mèl)
e — =^ è, l — (^tda, pïltî)
i — = f — (^fîlu)
0 — = ô — Çiiiôia)
0 — = ô, H — iflôre, gidd) u — = û — (inûrii).
Remarque I. — Etant données ces équivalences, il en résulte que, si dans tous les exemples allégués au cours de ce Trccis, nous avons conservé d'ordinaire (et pour ne pas dérouter le lecteur) les notations classiques comme têla, môla, gûla, etc., ces notations représentent en réalité tçla, moîa, gola en latin vulgaire. On devra donc s'habituer à faire mentalement cette substitution.
Remarque II. — Le changement de / en e et de fi en o
s'est produit dans tous les pays où l'on parlait latin. C'est seu- lement dans les idiomes du centre et du sud de la Sardaigne (logoudorien et campidanien) que / a conservé son timbre pri- mitif; en Sardaigne et sur les rives du Danube (roumain) que ù est resté distinct de ô.
Remarque III. — Si l'on compare les voyelles du latin vul- gaire à celles du français moderne, on verra que nous possédons les sept sons latins (p. ex. dans les sept mots patie, sel, dé, nid, port, pot, tour, prononcés pat, sel, de, ni, par, po, tur'). Le français possède en outre : \° un d distinct de l'autre (dans pas, prononcé pd) ; 2° trois voyelles palatales arrondies œ, œ, il (dans lés trois mots fleur, peu, mur, prononcés Jhyr, pœ, mûr') ; 3° quatre voyelles nasales J, è, ô, œ (dans les quatre mots sang, vin, sou, brun, prononcés 5(7, vî', sd, hrd'). Cela fait donc un total de quinze voyelles bien distinctes, auxquelles il faut encore ajouter \\' sourd, dit ordinairement e muet (cf. § 20). — Les voyelles françaises ne se distinguent point aussi nettement parla quantité que celles du latin classique. Il y en a cependant qui, surtout sous l'accent, sont d'une façon appréciable tantôt longues, tantôt brèves : ainsi i( (dans page, acte), f (dimsféte, sept), i (dans dire, dite), 0 (dans pvrt, poste), u (dans dou^e, douce), œ (dans neuve, neuf), il (dans mur, duc). Pour d, ç, ç, ce et pour les quatre
voyelles nasales, la distinction est bien moins sensible. La longueur des autres, en français, est souvent due, soit à l'effa- cement d'un s (fête, afr. /este), soit surtout à leur position devant r, î, if V finals (ou suivis d'un e muet, ce qui revient au même). Sur l'ancien allongement de la voyelle finale des noms au plu- riel, voir § i6o, hist.
3 . Les diphtongues avaient aussi subi des change- ments dans la prononciation. Le latin classique n'en possédait déjà plus guère que trois: au, ae, oe. Or, en latin vulgaire :
1" La diphtongue au se maintient en général, et ses transformations ultérieures seront à étudier.
2° Les diphtongues ae et oe se réduisirent d'assez bonne heure à un son simple. Le son provenant de ae fut ordinairement un f (dans caelum, quaerit, caecus, laetus, etc.), quelquefois en Gaule un e (dans praeda, saepes, blaesus, etc.). Le son provenant de oe était un e (dans poena, foenuiit, etc.).
Remarque. — Dans le passage du latin au français, il s'est formé, ainsi qu'on le verra, de nouvelles diphtongues, et notre ancienne langue en possédait un assez grand nombre. Mais ces diphtongues ont en général disparu à leur tour (p. ex. dans pieJ, moi, puits, prononcés /'}'t', niiua, pwi, et où le premier élément de ye, tua, ibi, est en réalité une semi-consonne).
4. L'hiatus est produit par la rencontre de deux voyelles qui se succèdent, sans interposition d'aucune consonne, dans deux syllabes distinctes. Les hiatus, qui existaient à l'origine, s'étaient effiicés de ditîé-
rentes façons dans la prononciation de beaucoup de mots latins. Il en subsistait encore dans des mots comme Dm, *co (cl. ego), *)}ica (cl. méa), via, *sïa (cl. sïm), *dle(c\. dïem), *plu (cl. pïum), tfia, *grfia (cl. grùem).
Remarque I. — Les mots tels que *fûi{d. fui), cîd, *illm, *portai (cl. portavij, avaient aussi des voyelles en hiatus, mais ils ont tendu de bonne heure à prendre une prononciation diph- tonguée.
Remarque II. — Dans préndcre (préhendere), cdrte (cô- horiem), *c6perirc (cl. côôperire), et autres mots analogues, l'hiatus avait été résolu par une fusion des deux voyelles sem- blables.
Remarque III. — D'une façon générale, Vl et IV qui se
trouvaient en hiatus avaient perdu leur valeur vocalique et s'étaient transformés en une consonne palatale y. Il n'y avait donc plus de différence à cet égard entre Jilîa et vinéa, pronon- cés *filya, *vinya : un mot comme palatïum, qui avait eu quatre syllabes distinctes en latin classique, n'en avait plus que trois en latin vulgaire (*pa-la-tyii) . Parfois cet élément palatal s'était effacé, pour diverses raisons : par contraction dans quelques mots comme *parète (cl. parïëtem), *quêtu (cl. quïêtum) ; par des actions analogiques dans de nombreuses terminaisons verbales *rectpo, *movat, *vetiunt (cl. recipio, movêat, venïuut), etc. Les polysyllabes où l'on trouve i conservant en hiatus sa valeur voca- lique (christïanum, glorïosum, passïonem, etc.) sont des mots d'in- troduction savante, ou qui possèdent un suffixe d'origine grecque *-ta (d'après aocpia) substitué à -'la dans phantasïa et semblables.
Remarque IV. — L'/î en hiatus se prononçait lui aussi d'ordinaire comme une consonne bilabiale w, dans *vidiua (cl.
vidua), *jdim\iriu (cl. janùariuni), *li'inrt' (cl. tcnùem). Par exception il s'était renforcé en une explosive sourde dans pi t ni ta, devenu *pi(t)pita. D'autre part il avait disparu dans des mots comme *iiiortii (cl. mortùum), *febrariu (cl. febrùarium), *battere (d. banùere), *cosere Çc\ . consùere).
II. — Loi de l'Accent.
5. Il y avait dans tout mot latin (sauf dans quelques proclitiques et enclitiques, § 8) un accent, c'est-à-dire une voyelle sur laquelle la voix appuyait avec plus de force que sur les voyelles des syllabes voisines. Dans le mot iiiaritti par exemple, / est la voyelle de la syllabe accentuée ; a et m se trouvent dans des syllabes dites atones. L'importance de lac- cent d'intensité était considérable : c'était lui qui don- nait au mot son unité et sa physionomie; il en était « l'âme )), suivant l'expression du grammairien Dio- mède {Est accentiis vehit anima vocis^.
Remarque I. — • Il est probable qu'à l'origine et à l'époque classique encore, deux éléments se combinaient dans l'accent latin : l'un d'intensité, l'autre de hauteur. Mais pendant la période impériale, surtout à partir du iii^ siècle après J.-C, cet accent a perdu son caractère musical, et il est devenu dans la langue cou- rante un accent iVintensitc purement expiratoire.
Remarque II. — La hauteur, en tant qu'élément de dissi- milation, n'a point disparu d'ailleurs des diverses langues issues du latin : mais elle v joue un rôle d'ordre surtout syntaxique, et sert notamment à linterrorration. Dans le français actuel, il
— 7 —
se produit une élévation de ton très sensible sur la dernière syllabe des phrases comme Viens-tu ? ou Est-il arrivé ? Il en était déjà de même sans doute au moyen âge, et certainement au xvie siècle, puisque les grammairiens de l'époque reprochaient déjà aux Normands et aux habitants de l'Ouest de transporter sur la finale des phrases de pure énonciation cette mélodie inter- rogative.
6. -L'accent d'intensité ne pouvait affecter en latin que deux syllabes, la pénultième ou V antépénultième. Il ne faut pas confondre l'accent avec la quantité qu'avaient en latin classique les voyelles (§ i), mais c'est cette quantité qui permet de déterminer très facilement la place de l'accent. La règle est la sui- vante :
1° Lorsque la pénultième est loiigue, elle porte l'ac- cent (^marltu, gubernâre, sont accentués maritu, guber- nàre) ;
2° Lorsque la pénultième est brève, l'accent se reporte sur l'antépénultième Çsapidtt, auricïtla sont accentués sâpidu, auricula).
Les mots accentués sur la pénultième sont dits paroxytons, et les mots accentués sur l'antépénultième proparoxytons .
Remarque I. — De ce qui précède, il résulte que les mots de deux syllabes sont tous eu latin des paroxytons (têla, pêde, etc.). Q.uant aux monosyllabes, qui ne peuvent naturellement porter l'accent que sur leur unique voyelle {rem, niél, sdl, etc.), ils sont dits oxytons.
— 8 — .
Remarque II. — L'accent porte toujours sur la voyelle pénultième qui est brève de nature, mais qui se trouve dans une syllabe longue (cf. § i , II), autrement dit qui est suivie de plu- sieurs consonnes (arisla a un ; accentué devant le groupe st ; hapti^o a un ; accentué devant \ qui £st une consonne double, etc.). En latin parlé, l'accent porte sur cette pénultième, même quand elle est suivie d'un groupe de consonnes qui lui permet- tait de rester brève dans la prosodie classique (colubra, cathedra, totiitni). Il semble y avoir eu cependant quelques exceptions à cette dernière règle : cf. la forme qu'ont en français des mots poutre (-= *pûllïtra), fierté, afr. fiertre (= férètru).
Remarque IIL • — Les parfaits appelés forts avaient en latin une désinence originelle en -èriinl (devenue -èrunt d'après -ère chez les poètes classiques), et ils l'ont conservée dans l'usage courant. C'est donc à des formes dixërunt, iitisërunt, que remontent les y^ pers. pi. de l'afr. ilistrent, niisdrent, fr. mod. dirent, mirent. — Par dérogation à la règle générale, les mots terminés par le suffixe -ôhi ont eu en latin vulgaire un ô pénul- tième accentué {filiolu, linteôlii) : ce glissement de l'accent s'explique par la valeur qu'avaient prise / et é en hiatus (cf. §4, III). — Pour quelques cas isolés et spéciaux du déplacement de l'accent dans ficàtiim, sccâle, trifôlium, cf. §§ 1 5, II ; 153, II ; 173, 3°-
Remarque IV. — Les noms de lieu venant du celtique ont conservé ordinairement l'accent sur leur syllabe initiale : c'est ce qui fait que Trîcasses, Tùrones aient donné en fr. Troyes, Tours. Dans la région du midi, Nhnausus a abouti de même à une forme provençale Nemo^e, en fr. Nîmes. Cf. aussi l'accentua- tion de Eburôvices, en fr. Evreux.
7. Les mots latins, composés à l'aide d'un préfixe, ont été traités en général comme si leurs éléments étaient distincts. C'est donc sur une voyelle apparte-
nant au mot simple que portait l'accent {re-âpit, de- venit, im-plicat).
Remarque I. — L'accent n'a porté sur le préfixe que dans les cas assez rares où le sentiment de la composition primitive s'était oblitéré : ainsi col-lôcat, col-l'igit étaient prononcés collôcat, côllîgit.
Remarque II. — Ce sentiment de la composition était au contraire ordinairement si vif que, dans beaucoup de mots, la langue parlée conservait ou rétablissait la voyelle du simple ; en face du latin classique attingit, conlinet, displicet, etc., le latin vulgaire avait des formes *attaiigit, *contenet, *displacet. C'était là, semble-t-il, une habitude due à l'influence des dialectes osque et ombrien.
8. Certains mots latins, proclitiques ou encli- tiques, étaient dépourvus d'accent : les uns n'étaient jamais accentués, les autres pouvaient l'être à l'occa- sion. Ces mots, le plus souvent monosyllabiques, appartiennent aux catégories grammaticales les plus diverses, et ce sont notamment :
1° Des particules prépositives, de, ad, hi, për, *pôr (cl. prô), shie ;
2° Des conjonctions, et, nèc, aiit, sî, *qnômo (cl. quômodo), qmd (parfois accentué comme particule relative) ;
3° Des adverbes, non (accentué ou non), ûbi, îbi, et de plus )nale, bène (accentués ou non) ;
4° Des pronoms personnels, ///(', tê, se (accentués
4
— 10
ou non), et de plus des formes possessives vulgaires, *iiiuiii, *ma (cl. mêum, mëam), etc. ;
5° Certaines formes de l'auxiliaire, es, ërat, ërit (accentués ou non), et de plus des réductions qui se sont produites en latin vulgaire, comme *as, *at (cl. habes, habet), et \>a (ci. vade).
Remarque I. — La différence signalée pour certains mots s'explique par ce tait que les accents sont disposés de la façon suivante dans des phrases comme :io ad mé \ vénit; 2° Déus me I viclet (plus tard Déus \ me videt, avec un groupe comparable au mot simple ventre). Dans le premier cas le pronom mè est accentué (il est devenu moi en français, § 54) ; dans le second cas il est atone (il aboutit à ni.e, § 92).
Remarque II. — Le démonstratif illum, illam, qui s'ap- puyait d'une façon constante soit sur le mot précédent (vide illn), soit sur le nom suivant (iîlu muni, illa porta), a commence par transporter l'accent sur sa seconde syllabe (d'où effacement delà première), puis il l'a complètement perdu, et l'on a eu des groupes *vide lu, "lu mùru, *la porta, groupes comparables a des mots simples comme cûhllu, latroue (d'où les formes du pronom et de l'article français, d'abord lo, la, puis le, la).
CHAPITRE II. - RÉDUCTION DU MOT LATIN EN FRANÇAIS.
9. L'influence de l'accent d'intensité a été décisive sur la transformation française des mots latins. Elle se résume en une loi capitale que l'on peut formuler de la façon suivante : Lavoyelle, qui porte en latin Vac- cent d'intensité, persiste toujours en française
C'est ainsi, par exemple, que les mots maritu, bonitàte, opéra, deviennent en français mari, bouté, œuvre, où les voyelles latines accentuées /, a, o, sont respectivement représentées par /, é, œu.
Remarque. — Il faut observer, comme corollaire de cette loi, que l'accent d'intensité subsiste en français, — quoi- qu'il s'y fasse moins fortement entendre, — et qu'il y affecte la même syllabe qu'en latin. L'accent est donc sur la dernière syl- labe des mots à terminaison masculine (c'est-à-dire finissant par un son plein, comme venir, bonté), et sur l'avant-dernière syl- labe graphique des mots à terminaison féminine (c'est-à-dire finissant par e, comme porte, épine) : mais comme en réalité cet (' s'efface d'ordinaire dans la prononciation (§ 20), il en résulte que tous nos mots sont en théorie des oxytons. — On doit en outre noter les deux points suivants :
a) L'un c'est qu'en français parlé l'accent, dans la phrase, paraît tendre à se distribuer de plus en plus par groupes de mots^
— 12
et non à porter sur cliaque mot isolé, comme il le faisait gene- nlement en latin (avec certaines exceptions toutefois, cf. § 8). Ainsi actuellemem, nu groupe nniM œmwc les grands hommes n'a qu'un seul accent, tandis qu'il y en a deux dans les hommes] .rànds. Une phrase comme : // y avait \ une fois \ un v,enx roi\ \ui n'avait pas \ d'enfdnts, n'offre en réalité que cinq accents, quoiqu'elle se compose en principe de quatorze mots.
b) D'autre part, il y a parfois dans la phrase française des mots particulièrement importants et d'une certaine dimension, qui, sous l'influence de l'emphase ou de l'émotion, peuvent, a cote de l'accent héréditaire placé sur la finale, en recevoir un autre. Ce nouvel accent d'intensité, dit « émotionnel « ou aussi « accent d'insistance », n'est pas moins énergique que l'ancien, et fait même souvent l'effet de l'être davantage : il porte d ordinaire sur la première syllabe du mot qui commence par une consonne (C est colossal! mais cest abôiuindbk !).
10. L'élévation de la voix a porté sur la voyelle accentuée au détriment des autres syllabes du mot latin. Tandis que la voyelle accentuée persiste tou- jours en français (§ 9), i^ "'^^^ n'est pas de même des syllabes atones voisines, qui, dans certaines condi- tions, se sont effacées : il y a donc eu, dans le passage au français, réduction syllahique du mol latin.
Si nous prenons pour type un mot comme ^uher- «âa^/t. (gu-ber-nâ-cù-lu), nous voyons que l'accent le divise en deux parties, situées l'une après, l'autre avant la syllabe accentuée -^m- : ces deux portions du mot sont soumises à des lois fixes et en partie dis- tinctes. Dans l'exemple cité :
1° Vu (de la syllabe -lu) est une voyelle finale ;
— 13 —
2° L'/ï(de la syllabe -cil-) est une voyelle pénultième atone, le mot étant proparoxyton ;
3° Ue (de la syllabe -ber-) est une voyelle non initiale devant T accent ;
4° Un (de la syllabe^//-) est ce que nous appelons, par abréviation, une voyelle initiale.
Il y a lieu d'examiner successivement ce que sont devenues les voyelles latines dans ces différentes po- sitions.
Remarque I. — Il va sans dire que la plupart des mots ne présentent pas réunies toutes les différentes sortes de vo\'elles énumérées plus haut. Ainsi giibenidre, qui est un paroxyton, n'a pas de voyelle pénultième atone ; niaritu n'a qu'une voyelle précédant celle qui porte l'accent ; tâhtila, mùni n'en ont aucune, etc.
Remarque II. — La réduction syllabique qu'a éprouvée le mot latin pour passer en français, résulte essentiellement de l'effacement des voyelles ; mais elle comporte aussi l'effacement de certaines consonnes. Consulter à ce sujet la deuxième partie du Précis.
I. — Voyelles finales.
11. Il 3' a une distinction essentielle à faire, à la finale, entre le sort de a et celui des autres voyelles latines.
12. Ua latin final s'est conservé en français sous forme affaiblie d'^ sourd (devenu muet plus tard).
— 14 —
Ex. : Vïa, voie; xnxAîi, mule ; pona, porte; nlha, aube; fêmina, jemme ; aurïcula, oreille; harpa, harpe.
Historique. — La conservation de a final est due à ce que
cette voyelle était particulièrement claire et sonore (^Introduction, II, 13 a). Son affaiblissement en ç semble s'être produit vers la fin du viiie siècle ou le début du ix^ dans tout le Nord de l'an- cienne Gaule (au Midi a s'est d'abord conservé, mais est devenu généralement 0 à partir du xv^ siècle). Les graphies par a des Ser- ments de 842 {cosa, aiudha, etc.) sont probablement tradition- nelles ; la Cantilène d'Eulalic écrit e presque partout (po//c, cose, sjvcte, etc.). Sur la destinée ultérieure de e en français, voir § 20.
Remarque I. — Un c final provenant de a latin a disparu graphiquement dans eau (= aqua, § 38, V), écrit caiw jusqu'à la fin du xvie siècle. La même disparition est à noter dans la par- ticule or, afr. ore (—; hac-hora), qui était un mot proclitique.
Remarque II. — Va, qui se trouvait dans la syllabe fi- nale devant .v, / ou ;// de flexion, a eu le même sort que l'autre. Ex. : Filias, filles ; portas, portes ; cantat, chantent) ; cantant, chaulent [sàt\ Dans les formes du subjonctif vulgaire *sia, *sïas, *sïat (nïï.soie, soies, soit, fr. mod. sois, sois, soit) et celles des im- parfaits en *-èa,*-ëas, -*èat (afr. -oie, -oies, -oit, fr. mod. -ais,-ais, -ait, cf. § 54, hist.), Ve résultant de a s'est efïacé, mais bien plus tôt à la 3c personne qu'aux autres. Comme la forme seit (plus tard soit) est seule attestée en ancien français dès les premiers textes, il est possible qu'elle remonte directement au lat. cl. ,w7 : c'est en tout cas sous son influence que s'est produit -cil (plus tard -oit) À l'imparfait, et que le subjonctif ^aV^ (habeat)est deve- nu de très bonne heure ail.
13. Les voyelles latines finales, autres que rt, se sont effacées en français dans les mots paroxytons.
— 15 —
Ex. : *Dïe, [uii]di ; nave, nef; valle, val; heri, hier; pei'do, afr. pert, perds; mum, mur; caballu, cheval; TportUjport; factu, fait; pretiu, prix; consiliu, con- seil.
Historique. — La voyelle finale des paroxytons semble avoir été sensible jusqu'à la fin du vue siècle : c'est à partir de cette époque qu'elle s'est peu à peu effacée par suite de l'in- tensité de l'accent expiratoire portant sur la syllabe précédente, et qu'on a commencé à dire mur en croyant toujours pronon- cer iiiiirK. Cet effacement, qui a eu lieu sur tout le territoire de l'ancienne Gaule, est un des traits qui distinguent nettement le français (et le provençal) des autres langues romanes.
Remarque I. — Les voyelles finales / et h se sont conser- vées lorsqu'elles se trouvaient suivre immédiatement la voyelle accentuée. Es. : *Portai (cl. portavi), portai; cûi, afr. ciii, qui ; *fùi, afr. fui, fus; dèu, dieu; hebraeu, ah. ebricu, hcbrcu. Sur le cas de/ocK, 7^"^") iocu, cf. 5 69, III ; sur celui de clavu, cf. § 55, VI.
Remarque II. — Les voyelles qui se trouvaient à la fi- nale devant s ou t de flc.Kion, ont eu le même sort que les autres. Ex. : .Muros, murs; vënis, viens; débet, doit. Toutefois elles ont dû se conserver un peu plus longtemps dans la prononcia- tion, peut-être jusqu'à la fin du viiie siècle (cf. § 24, II). Les fi- nales des 368 pers. du plur. -unt, -eut, aboutissent comme -ant à f sourd, écrit -eut (vendunt, vendent ; debent, doivent). Dans d'autres formes verbales comme cantastis, *cantamnius, cantasses (devenues en fr. clMntdtes, chantâmes, chantasses), la voyelle se retrouve à la finale sous forme d'f pour sauvegarder la flexion . Dans sommes au lieu de sons (--= sùmus), elle paraît due à l'in- fluence de l'afr. csmes (:=z *essïmus).
Remarque III. — Dans les verbes français en -er, les
— lé —
irespers. de l'indicatif présent comme chante, porte, au lieu de l'afr. chant (= canto), port (= porto), sont dues par analogie soit à celles qui avaient régulièrement un e {entre = intro, tremble =: *tremulo, etc., cf. § 14), soit plutôt à la proportionnalité qui s'est établie en moyen français entre des groupes de formes comme d'une part il vend, je vends, et d'autre part il chante, je chant[e']. Des faits du même genre se sont produits au subjonc- tif, où l'influence de vende (= vendam) avait amené dès la fin du xiiie siècle des formes telles que chante pour afr. chant =iczn- tem, etc. — Les adjectifs féminins comme forte, grande, afr. fort, grant (— fortem, grandem) ont pris en moyen français, un e dû à l'influence analogique de bonne (=. bona) et sem- blables. Dans comme, afr. com (= *quomo, cl. quomodo) Ve final est aussi une addition. Quant à Ve qui se trouve à la fin des mots comme axe, signe, espace, pâle, monde, trône, etc., il indique l'origine purement savante de ces mots.
14. Les voyelles latines finales, autres que a, se sont cependant conservées comme voyelles de sou- tien et sous forme affaiblie d'^ sourd (plus tard e muet):
1° Dans les mots paroxytons où elle se trouvaient derrière un groupe formé par consonne + liquide (cf. toutefois Rem. I), ou par labiale -\-y, et par con- sonne -t- dy. Ex. : a) Pâtre, afr. pedre, père; nostru, mire; febre, fièvre; duplu, doidik; inflo, enfle; alnu, aune; somnu, soiime ; *helmu (germ. helm), heauine. — b) Rubëu, rou^^e; simiu, singe; somnïu, songe; hordéu, orge.
2" Dans les mots proparoxytons. Ex. : a) Lepore, lièvre; vendére, vendre; *tremLilo, tremble; asinu,
— 17 —
âne; fraxïnu, frêne; balsàmu, baume; villatïcu, vil- lage. — /;) Comité, comte ; Namnétes, Nantes ; male- habïtu, malade; tepidu, tiède; hospite, hôte; *lendïte, (cl. lendem), lente; *herpïce, herse; rumïce, ronce; pulice, puce.
Historique. — La voyelle finale, dans les mots de ce aenre, est encore notée indistinctement a, o, e par les Serments de 842 (fradm, scndra,pohlo, nostro, fraâre, altre), ce qui prouve que sa valeur était flottante et déjà faible. On l'a écrite ensuite par un e, qui doit être considéré comme une atténuation de la voyelle latine primitive : du reste, cet e s'est aussi développé spontanément, pour servir d'appui à certains groupes de con- sonnes, dans des mots où il ne représente aucun son originaire comme ensemble (=insimul), entre (= iuter), maire (= major), etc. Il est à remarquer que Ve sourd a persisté longtemps après la disparition des causes qui l'avaient amené : dans un paroxyton comme pedre réduit à père, lorsque le groupe dr n'exista plus ; dans un mot comme tiède, lorsque ce mot fut devenu paroxyton de proparoxyton qu'il avait été. Cela prouve qu'à ce moment-là l'influence sous laquelle s'étaient effacées les finales se faisait déjà moins sentir. La comparaison de hospîte(m), devenu en afr. oste, avec boste(ni) qui aboutit à ost, montre clairement la diflfé- rence qui s'êiait produite à l'origine dans le traitement des deux classes de mots. Quant à l'opposition qu'on remarque entre tiède (= tepïdu) et chaud (= calîdu), elle provient de ce que les mots comme cal'tdu n'étaient plus en réalité des proparoxytons dans la prononciation courante du latin (cf. § i) ). Sur Ve sourd devenu muet en français moderne, voir § 20.
Remarque I. — Tandis que la voyelle finale des paroxy- tons se conserve derrière les groupes Im, In (dans heaume = *helmu, aune = alnu), elle est tombée derrière rvi, m, ainsi dans ver, afr. verni (= verme), cor, afr. cor7i (= cornu) ; il
s'ensuit que l'adjectif ferme pour afr. Jenn (= firmu) est une forme féminine généralisée (sur une généralisation analogue con- cernant les adjectifs vide, raide, large, louche, chauve, voir§§ 117, hist. ; 118, II ; 128, II ; 136, II ; 172, rem.)- La finale est égale- ment tombée derrière les groupes r/, gn (précédés d'une voyelle) où l'élément guttural a donné de bonne heure naissance à un yod C^ 26); sur ces faits, voir §§ 133 et 134.
Remarque II. — Les possessifs de la pluralité iiostres (^ nostros), vostres (= *vostros, cl. vestros), employés connue proclitiques, ont perdu de très bonne heure leur finale vocalique et se sont réduits à nos, vos (par des étapes *nosts, no\, et *vosts,
Z'O^).
Remarque III. — La forme du mot comte (=^ comité) fait difficulté par suite du maintien de la finale, et de la conser- vation du t qui aurait dû s'affaiblir en d (d'après le § 141, 2°) : pour l'expliquer, on suppose une réduction ancienne à Vom'/e où m aurait conservé tout d'abord une valeur vocalique. Sur le mot hôte {^=1 hospite), cf. § 141, 2°, I. — Sur le sort de la finale dans les proparoxytODS d'emprunt ancien, voir § 15, I.
IL — Voyelles pénultièmes atones.
15. La voyelle pénultième atone de tous les mots latins proparoxytons s'est effacée en français, quelle qu'elle fût (y compris a), mais à des époques diverses. Ex. : d) Oc(ù)lu, œil; auric(ù)la, oreille \ masc(ù)lu, mâle ; tab(ù)la, table ; vir(i)de, vert ; lar(i)du, lard ; ca!(ï)Ju, chaud ; sol(i)du, sou ; *rall(i)- ta., faute; *col(à)pu, rt»///); cal(a)mu, cbauiue; *quaes(i)-
— 19 -
ta, quête. — h) Fng(ï)du, froid; mag(i)de, mait; plan- tag(ï)ne, plantain; explic(ï)tu, exploit) plac(ï)tu, plaid. — c) Débita, dette; mânica, manche; pertïca, perche; caméra, chambre; asïnu, âne; hospïte, hôte; vendére, vendre; lepôre, lièvre; cubïtu, coude; rumïce, ronce; *cannapu (cl. cannâbim), chanvre; platànu, plane ; celt. *cassanu, afr. chasnc, chêne ; Sequàna, Seine .
Historique. — Dans certains cas (et dans des conditions encore mal définies), l'effacement de la pénultième atone avait eu lieu de très bonne heure en latin vulgaire : à Rome on disait domniis pour domhius dès l'époque de Plante, et virdis pour viridis semble attesté déjà chez Caton ; d'autre part un adverbe vatdê s'était implanté dans l'usage en face de l'adjectif vat'idiis, et les poètes, même à l'époque classique, ont continué à employer d'anciennes formes syncopées comme ùeiïclitm pour penctlliim, etc. On peut admettre (avec certaines réserves, surtout pour l'Orient et l'Italie méridionale) qu'au cours de la période impé- riale le peuple, en parlant, ne faisait plus que rarement "entendre la pénultième : i° entre consonne -|- / (oclti, aiiricla, masclii, tabla) ; 2° entre /■, / d'une part, et de l'autre p, m, d, t (virde, tarda, colpti, calmii, catdu, soldu, *falta) ; 5° entre s et t (*qiiaesta). Tous les mots de ce genre étaient donc déjà paroxytons avant l'époque romane proprement dite, et ont été traités comme tels (cf. §§ 15 et 14, hist.). Au Nord de la Gaule, Vî pénultième s'est encore effacé dès l'époque latine entre g (passant à y) et une dentale dans frig(î)du, rig(î)du, magQ)de, ptantag(ï)nc (sur l'évolution de plaâtu, cxplicîtit et *vocUii, cf. § 117, hist.). Les autres proparoxytons ont subi la syncope à des époques diverses. Elle s'est produite plus tôt dans les mots dont la voyelle finale était un a : ainsi manha était devenu *iuan\a dés le v^ siècle (cf. § 122, 2^ hist.) ; ddnta s'est de même
— 20 —
réduit à *dcFta, avant que / entre voyelles fût passé à d. Au con- traire un mot comme aihllu, dont la voyelle finale était moins claire, est passé par un intermédiaire *côvedu avant de se réduire à cov'du (cf. § 141, 2° hist.). — Entre autres conséquences, il résulte de cette loi générale que, dans les verbes du type de vcii- dëre, perdëre devenus vendre, perdre, la terminaison de l'infinitif lat. -ëre n'est plus représentée en français que par la finale atone -re.
Remarque I. — Dans un certain nombre de proparoxy- tons, introduits à une époque relativement tardive, mais où la loi de l'accent se faisait encore sentir, la réduction a eu lieu d'une foçon différente. La voyelle pénultième a été conservée sous forme d'c, tandis que la finale tout entière s'est effacée ; la voix était devenue incapable, après avoir proféré une syllabe forte, de se prolonger distinctement sur deux syllabes faibles. Le mot êvéqnc semble être un des plus anciens de cette catégorie : cpiscopu s'est sans doute prononcé *ebéscpbe, puis evêsque(vé). On a eu de même, et cela à des époques différentes : Prince = . *prince(ve) = principe ; pdlc := *palle(de) =: pallïdu ; souple =; *sople(ce) zrr supplice ; rance :=- rance(de) = rancïdu ; page =. *page(ne) ^ pagina ; image = *image(ne) = imagine ; marge = *marge(ne) 1= margîne ; vierge ^ *virge(ne) = virgïne ; orgue Tiz *orgue(ne) =l orgànu, etc. Dans les poèmes du xi^ siècle, les mots écrits par tradition /v/o't'Hc, virgene, etc., ne comptent en réalité que pour deux syllabes : une forme comme organe (xiie siècle) ne se produit que quand le sentiment de l'accen- tuation latine s'est oblitéré. Le mot lampe paraît remonter à un typevulg. *lampa (cl. lampas, -ada). Le proparoxyton pampïnu, au moment où il en était à l'étape *pampene, a abouti d'une part àpampe(ne), d'autre part à pamp(e)ne (pampre, § 193, I). La forme *angele (= angèlu) paraît s'être réduite à ange par un intermé- diaire ^aiijle. Voir aussi le cas de encre($ 178, III) qui, par l'afr. enque, remonte à cucauslu Çiy.oLjQ-o'j) où les maîtres d'école ont fait prévaloir en Gaule l'accentuation grecque (tandis que l'italien dit inchibstro).
— 21 —
Remarque II. — Le mot populaire /îcà^w (abrégé defica- tum jeciir « foie d'oie engraissée avec des figues ») est devenu en lat. vulg. *fu~dtu, accentué ensuite //fa/!/ (d'après hépàtis) : cette forme, par des étapes *Jégatn, *jèygt, a alors abouti k feie, foie. Comparez l'évolution de l'afr. aiw (=z anàte), qui s'est conservé dans le terme technique bédane « bec de canard ».
Remarque III. — L'accentuation proparoxytonique est devenue peu à peu si contraire aux habitudes de la langue que plus tard, en moyen français, lorsqu'on avait dans certaines for- mules interrogatives une succession de deux f sourds, on a fait du premier un ;' accentué. On a commencé à dire dès le xv^ siècle aiiiié-je pour *iuiiie-je, conté-je pour *conte-je, etc. (d'où abusive- ment par analogie des formes iiienté-je, perdé-je, encore d'un cer- tain usage au xviie siècle). La prononciation aime-je a cepen- dant été longtemps usitée dans certaines provinces de l'Est, sur- tout en Lorraine.
III. — Voyelles non initiales devant l'Accent.
16. Les voyelles non initiales, précédant la syllabe accentuée, ont éprouvé un traitement qui offre de grandes analogies avec celui des voyelles finales
17. Va latin d'une syllabe non initiale placée devant l'accent :
a) S'affaiblit en français en e, comme à la finale (§ 12). Ex. : Ornaméntu, ornement; *orphaninu, orphelin ; *baccalâre, bachelier ; *vassalIâticLi, vasselage ;
— 22 —
Alamânia, Allemagne ; portar(e)-hâbeo, porterai ; fir- ma-ménte, fermenient.
Remarque I. — Sei<rer remonte au lat. vulg. *seperàre (cl. scpararc) ; merveille à un type *iiierilnlia (cl. mirabilia). Le mot moiuisteriiiiii s'était réduit dans le latin parlé ■d*i>iosleriii, d'où le Ir. vioulier.
Remarque II. — La forme régulière et complète du suf- fixe -auu'iitii est donc -ciiicnl en français : sacraniênlu devient en afr. sairement, réduit ensuite à ser)iieiit. Le mot denrée est pour afr. denerèe (:= *denariàta), et parvis pour une forme plus an- cienne parevis (= paradisu, § 142, III). Cf. encore albdlrc, afr. alehastre (= alabastru) ; l'afr. corratier ou conrretier, emprunté au provençal et devenu au xvi^ siècle coiuiicr ; enfin la pronon- ciation actuelle des adverbes comme durcDieitt [diïrnul], follciiwnt [foliiid], etc.
Remarque III. — Dans les mots comme oraticvie, vena- tiône, Va après s'être aflfaibli s'est combiné avec 1'/ qui était en hiatus (§ 29, 2°), d'où d'abord en afr. oreisoii, vcneison, devenus oroison, venoison (cf. pdiiioison ■=■ *spasmatiône, apprivoiser = *apprivatiàre, panlois' tiré de l'ancien \erhc paiitoisier = *phanta- siàre), et finalement oraison, venaison (sous l'influence de raison, saison, etc., § 90). Le suffixe -aison, quoique populaire en fran- çais, est donc une forme àé]h légèrement refaite du lat. -atiôtte, qui a été reproduit purement et simplement dans les mots d'em- prunt comme adiiiiralion, création. — Le moi chahwiean, afr. cha- kiiiel (= calaméllu) off"re pour 1'^ provenant de a un changement en n, qui paraît s'être opéré sous l'influence régressive de la labiale m. L'a devant n -\- t en hiatus est resté dans compagnon (= *companïône). Enfin chevalier (^csh^Winu), a conservé son a sous l'action analogique du mot simple cheval, et tempérament est une forme refaite qui a remplacé au xv!*; siècle l'afr. tempre- Dient (-.: temperaméntu).
— 23 — ,
F) Ua disparaît dans la langue moderne, après s'être affaibli en e :
1° Par réduction d'un hiatus, en s'élidant devant la voyelle accentuée (cf. § 91, 1°). Ex. : Armatûra, afr. arinëiire, arniure ; *mercatânte, afr. nmrché'ant, marchand ; abbatissa, afr. abëesse, abhesse ; *levaticiu, afr, levei'i, levis ; peccatôre, afr. pechëeiir, pécheur. •
2° En s'absorbant dans la voyelle précédente. Ex. : *Cataléctu, afr. chaelit, châlit ; media-nôcte, afr. Hiiejiiiit, minuit; cruda-ménte, afr. cnieiiieiil, criuuent ; nuda-tésta, afr. niw-teste, nu-téte.
Remarque I. — H résulte des exemples de la première série qu'en français moderne : 1° le suffixe -is (celui de tevïs, roulis, fouillis') est une réduction du lat. -atlciit : 2° le suffixe -atdrc aboutit à -eur (dans chanteur = cantatôre, veneur = vena- tôre) et se confond pour la forme avec -eur (= -ôre) des mots abstraits comme saveur, douleur ; 30 le suffixe -atûra aboutit à -lire (dans rtrwwrt' = armatûra) et se confond avec le simple -î/re de mesure (■= mensùra); 4° le suffixe -atdriu aboutit à -oir (dans miroir = *miratôriu) et se confond avec le simple -oir de rasoir (= rasôriu). Cf. §§91, 1°, et 96, hist. .
Remarque II. — Quoique la prononciation moderne efface toujours (. dans les mots de la seconde catégorie, l'ortho- graphe est très flottante : on écrit gaiement ou gaîment; dénoue- ment ou dénoihneiit ; agrément, mais échouement, oublierai, etc. Cf. § 20, hist.
18. Toutes lés voyelles latines (autres que a, § 17), placées devant l'accent dans une syllabe non initiale :
— 24 —
a^ Se sont effacées en frnnçaiis. Ex. : Libérâre, livrer ; *mansLiëtinu, mâtin; sanïtdte, sanlé ; dormitôriu, dor- toir; ancôrâre, ancrer; *mansiôndticu, ménage; simù- Idre, sembler ; *pistLirîre, pétrir ; *parauldi'e, (cl. para- bolare), parler.
Historique. — L'effacement de ces voyelles qui précédaient la syllabe accentuée, ne s'est point produit à une date uniforme. En principe, on peut admettre que la syncope avait eu lieu dès l'époque du latin vulgaire : 1° entre consonnes identique, dans iiiat{ii)liuii ; 2° entre s et t, dans *cons{u)tùra, *viaus{uc)thiîi ; 3° entre nip et /, dans comp(ii)tdre. Elle s'est produite seulement en Gaule, mais de bonne heure encore et sans doute vers le ve siècle : i" entre nt, iii't, r'i, v't, dans bon(i)tdte, $an(i)tdte, dorm(i)tôriu,sem{_i)tàrin, clar(t)ldte, civ{i)tàte\ 2° entre consonne et c (+ e, i), dans )iav(i)cclla, rad(^i)cina.J£.nfin elle a été un peu plus tardive et ne paraît pas antérieure au vii^ siècle dans une série de mots comme ver{e')cûndia, *herlii)câriu, *fil(J)cària, adj{ti)tdre, *suh(i)tdnu. Ce qui permet d'établir approximative- ment cette chronologie, c'est le traitement divergent des con- sonnes qui suivaient : on sait en effet que d'une façon générale, en Gaule, les consonnes sourdes sont passées aux sonores cor- respondantes dans le cours du vie siècle, et que c (-{- a), t par exemple sont devenus g, d ; mais il fallait pour cela que les con- sonnes fussent encore entre deux voyelles. Sur ces faits et sur leurs conséquences, voir notamment l'historique des§§ 116; 122,
20 ; 141, 2".
Remarque I. — Des mots tels que souverain ou tourterelle étaient régulièrement en afr. sovrain (= *superânu), torlrele (=^ turturilla). Un mot tel que médecine est refait pour l'afr. niecine (= medïci'na) qui était normal, et il est probable que ennemi (inimîcum) n'est pas purement populaire. — Les futurs comme mourrai (= *morîre-hâbco), verrai (vidêre-hâbeo), von-
— 25 —
drai (= *volêre-hâbeo) sont réguliers et de formation ancienne : ceux comme mentirai, sentirai, finirai, ont été au contraire refaits sur l'infinitif (mentir -\- ai) à une époque postérieure.
Remarque II. — Dans vêtement (vestiméntu), on doit admettre l'introduction du suffixe -aniéntu pour -/w^'h/m ; cf. l'afr. seulement refait en sentiment. — Les adverbes tels que fortement, grandement, etc., ont été refaits en moyen français sur les nou- velles formes du féminin /or/f, ^rfl«rf^ (§ 13', III), et par analogie avec durement (= durâ-ménte) : l'ancienne langue disait régu- lièrement forment (=z forti-ménte), gramment (^ grandî-ménte). Comparez constamment (=z constanti-ménte) et semblables, qui sont restés. — Le verbe tt'«/r, qui, par des intermédiaires bene'ir et plus anciennement benedir, remonte au lat. henedicere, est un emprunt liturgique fait dés l'époque mérovingienne. On peut aussi observer, quoiqu'il ne s'agisse pas d'une voyelle précédant immédiatement l'accent, que la forme de empereur, afr. emperi^or (=z imperatôrem), au lieu de *emprëor, semble indiquer un mot introduit seulement vers l'an 800, lors du rétablissement de l'Empire d'Occident par Charlemagne.
Remarque III. — Dans un assez grand nombre de mots comme marier, saluer, mesurer, douloureux, félonie, etc., la con- servation de la voyelle précédant l'accent doit être attribuée à l'action analogique des formes ou des mots simples correspon- dants : marie, salue, mesure, douleur (afr. dolor), félo)i. Un infini- tif tel que raisonner (cf. afr. araisnier=^ *adratiônâre) a été refait sur les formes où l'o était accentué, comme raisonne (= *ratiô- nat). Quant k vérité, visiter, blasphémer, obéir, pénitence, monu- nwnt, etc., ce sont des mots savants (cf. l'afr. verte à côté de vérité, et blâmer doublet de blasphémer').
Remarque IV. — Cette loi explique que des groupes de mots comme de (il) lu pâtre, a(d il)lti pâtre, où il n'y avait qu'un accent, se soient réduits z*deV padre, *ar padre : sur le sort posté- rieur des combinaisons del, al, voir § 188, III.
5
— 26 —
b) Ces voyelles se sont toutefois conservées : 1° Sous forme affaiblie de e derrière les groupes formés de consonnes + r. Ex. : *Quadri/y^cu, carre- Jour; *Merc(u)ri-dîe, mercredi.
Remarque I. — L'ancien français avait aussi larrccin (= latrociniu) et perresil (= *petrosiliu, cl. petroselïnon), deve- nus plus tard larcin, persil ; il disait également norreture (=:: nutri- tûra) modifié en nourriture par réaction savai.te. Du reste dans ces mots la conservation d'une consonne sourde fait supposer des formes intermédiaires telles que *ladfcin, *nodr'ture, avec r ayant une valeur vocalique. — L'adjectif dernier est pour afr. derrenier (tiré de derrain -= *deretranu).
Remarque II. — Le mot dpreté_ (asperitâte) est refait d'après rTprc, et a subi dans sa finale des influences savantes. Il en est de même de chasteté (castitâte) et sainteté (sanctitâte), pour lesquels l'ancienne langue présente des formes à demi popu- laires chasteé, sainteé. Quant au suffixe -itê pour -té (dans charité, densité, etc.), il est purement d'emprunt. — Derrière le groupe nin on trouve un / qui s'est conservé et a subi une évolution régulière dans damoiseau (:= *domnïcéllus) et demoiselle (=*dom- nïcélla) : mais à côté de l'afr. damoisel, on avait aus.si des formes syncopées dancel ou doiicel.
2° Devant certains groupes de consonnes, et en général sous la forme d'un / devant /, n, c, ï -\- \ en hiatus. Ex. : a) Appelldre, appeler; tabernariu, taver- nier ; volûntâte, volonté ; *corrùptiâre, courroucer ; *albïspina, aubépine; desid(e)rare, désirer. — h) Papï- liône, pavillon ; *turbéli6ne, tourbillon ; Castélliône, Châtillon ; *quatriniône (cl. quaternionem), afr. cari-
gnon, carillon ; *campini6ne, champignon ; Avéniône, Avignon; *ericiône, hérisson ; *attîtiâre, attiser.
Remarque. — L'afr. sospeçon (:= suspectiône) s'est réduit à soupçon. D'autre part un c et un ;, devant c -\- 'i en hiatus se sont conservés sous forme dV sourd dans séneçon (^ senëciône) et hameçon (= *hamïcione) ; cf. aussi le cas de chignon, afr. chaeianon (= *catëniône), et les dérivés comme corbillon, oisillon, qui sont pour afr. corbeillon, oiselon.
IV. — Voyelles initiales.
19. La syllabe initiale des mors était prononcée en latin avec une netteté toute spéciale, et c'est ce qui fait que sa voyelle a régnlièrenienî persisté en français. Cette voyelle s'est donc trouvée soumise à certaines lois qu'il y aura lieu d'examiner en détail après celles qui régissent les vo3^elles accentuées (voir Chapitre V).
Historique. — On a longtemps supposé qu'il y avait sur la première svllabe dei mots latins un accent secondaire, prove- nant d'une intensité initiale qui aurait été très forte en latin archaïque jusqu'au in^ siècle av. J.-C. : c'est à l'action de cette intensité qu'on attribuait notamment la fermeture des voyelles brèves intérieures dans la composition (îw//'/o = re -\- càpio, etc., cf. §7, II). Cette hypothèse soulève des difficultés et ne paraît pas démontrable : il vaut donc mieux admettre que les vovelles initiales se sont conservées grâce à la netteté particulière dont le commencement du mot était détaché dans la prononciation, et nous avons d'ailleurs sur ce point un témoignage formel de Quintilien.
— 28 —
Remarque I. — Entre deux consounes, dont la seconde était r, l'effacement d'une voyelle initiale s'est produit dans quelques mots dès l'époque du latin vulgaire : droit = *d'rectu (dîrectum) ; crier = *c'ritare (quiritare) ; crouler =: *c'rotulare (*corrotuIare). Plus tard un c sourd a disparu dans vrai pourafr. verai (=*verAcu, cl. veracem). Comparez aussi le cas ào-broiiette qui a remplacé dès le xiii^ siècle l'afr. herouete, et pour consonne -\- l la prononciation actuelle des mots pelote {^*^\\oX.là), peloton, peluche (§ 20, hist., d). Un fait du même genre s'est produit pour le pronom cela (= *ecce-hoc illac) qui, dans une pronon- ciation rapide et populaire, s'est réduit à s'ia puis ça vers la fin du xviie siècle. On peut enfin se demander si la préposition ^a«5, vu l'époque tardive de sa pleine diffusion en français (milieu du xvie siècle), ne représente pas une contraction de la forme plus ancienne d(e)daus = *de-de-intus.
Remarque II. — Par contraction devant une autre voyelle, celle de la syllabe initiale avait disparu dès l'époque latine dans certains mots (§ 4, II). Pendant la période du moyen français, beaucoup de voyelles initiales, qui d'abord avaient été régulière- ment conservées, se sont effacées par suite de la résolution d'un hiatus; sur ce fait, voir 55 9i> 9^» ^o^.
Remarque III. — Dans quelques mots (qui d'ailleurs ne sont pas purement populaires et ont subi des altérations anor- males), la voyelle commençant directement le mot a disparu en français : boutique (=z àpotheca, gr. à;:o8r|zr]); marc (=êmarcu); tnine (= hémina, gr. f^aiva); migraine (= hêmicrania, gr. yja'.Kpavia); r/^ (= ôryza, gr. opuÇa). Ces divers cas d'aphérèse doivent reposer en partie sur des confusions avec la voyelle de l'article qui précédait ces mots ; il s'en est produit une très nette dans le nom de plante /Tc'Zf, qui représente afr. -l'asprele (pour des faits inverses, voir § 184, II). Sur l'aphérèse qu'ont subie les termes pronominaux comme (il)lu, (il)la,(il)lac, etc., devenus en fr. le, la, là, ci. '<, 8, II. Les formes démonstratives comme icest
— 29 —
(= ecce-istu), iceîe (= ecce-illa), et semblables, se sont aussi réduites de bonne heure à cest, cele, en fr. mod. cet, celle, etc. Enfin la forme qu'a le futur de l'auxiliaire serai implique que le groupe *essère-hdbco s'était dès l'époque du latin vulgaire, et pro- bablement sous l'influence du présent suw, réduit à *sere-hdheo (comparez l'italien saro).
UE muet français.
20. Vc appelé muet d'ordinaire (parce qu'il dis- paraît en effet le plus souvent dans notre prononcia- tion moderne) est en réalité, lorsqu'il se fait entendre, un e sourd, intermédiaire entre œ et œ, mais d'une sonorité sensiblement plus faible. Comme il est le son dont la prononciation nous p.traît la plus aisée et la plus naturelle, on l'a quelquefois appelé la « voyelle neutre » du français.
Nous venons de voir dans ce chapitre que ce son neutre est le point d'aboutissement de beaucoup des voyelles atones du latin ; nous verrons plus loin qu'il est également celui de certaines voyelles initiales. Il importe donc de noter ici, pour résumer la question, que Ve sourd du français (plus tard £ muet dans cer- taines conditions) provient essentiellement :
1° De a latin final ou placé devant l'accent (porte = porta; ornement = ornaméntu, §§ I2, 17);
2° De toute voyelle latine finale dans un propa- roxyton, ou finale dans un paroxyton après con-
— 30 —
sonne -|- liquide, et labiale -|-v {ticiie= tepldu; enfle = inflo; ronge -= rubeii, § 14) ;
3° De certaines voyelles latines placées devant l'accent^ surtout après consonne + liquide (carrefour = *quadrifi'ircu, § 18, b 1°);
4" De e libre initial (venir = vénîre, § 92);
5^ De a libre initial derrière une gutturale (cheval ^- cabâllu, § 89, 1°);
6" De certaines voyelles initiales qui se sont affai- blies par dissimilation (devin = dîvînu ; seniondre = *sùbm6nere, § 98, § 99, III);
7" De l'affaiblissement qu'a éprouvé la voyelle de certains mots proclitiques ou enclitiques (me = mê ; te ^= té ; se = i,è ; de =:^ dé ; ne = non ; que = quïd ; je, afr. je, jo= *éo, cl. ego; ce, afr. ço^= ecce-hoc; Je, afr. lo = illù). Voir § 8.
Historique. — Il importe ici de bien saisir dans quelle mesure la prononciation correspond à la graphie. LV sourd, quelle que fût son origine, quelle que fût sa position dans le mot ou la place de ce mot dans la phrase, peut être considéré en principe comme s'étant toujours prononcé (sauf parfois dans les monosyllabes) en ancien français. Sa sonorité a été s'aff;iiblissant vers la fin du moyen âge: celui, par exemple, qui se trouvait en hiatus devant une voyelle, a disparu à partir du xiv= siècle, et si complètement que peu à peu l'orthographe ne l'a plus noté (sauf dans eu, seoir, et le suffi.xe -eau, cf. § 96). D'autre part les grammairiens du xvie siècle donnent à f le nom (ïe féminin, et Th. de Bèze dit en propres termes « foeniineuin propter iiiibe- cilhnii et vix sonorani voceni ». Les poètes de la Pléiade avaient
- 31 —
l'habitude d'en faire souvent abstraction entre deux consonnes dans des mots tels que soiiv(e)rain^ earr(e)foitr , env(e)lopper, etc. Tandis que xMarot hésitait encore entre aiséevient (en 4 syllabes) et hardi(e)ment, cri{e)rai; vers la fin du siècle, Lauoue déclare d'une façon catégorique que les mots comme remiietiient sont prononcés sans l'*'. Ronsard également voulait déjà qu'on eût la licence de ne pas le compter dans « les vocables qui se finissent en ée et en ées », aussi en oiie, ne : comme les poètes ne se sont pas décidés sur ce point jusqu'au milieu du XYii^ siècle (Mal- herbe donne à ^ sa valeur syllabique dans un hémistiche Aiitée dessous lui, et de même encore Molière dans la partie brutale), il en est résulté pour notre versification des règles artificielles et assez tyranniqaes. Toutefois, dès l'époque classique, V§ semble avoir été muet à peu près dans la mesure où il l'est aujourd'hui. Rivarol, en 1784, l'a bien comparé dans une phrase restée célèbre à « la dernière vibration des corps sonores » ; mais d'Oli- vet, dès 1736, déclarait que les finales de bal et balle, mortel et mortelle, etc., étaient absolument identiques. En tenant compte du fait que les mots proférés isolément sont l'exception, et qu'ils se trouvent d'ordinaire groupés dans la phrase, voici quelles sont actuellement les règles suivies dans la prononciation normale du français :
a) L'g est devenu muet à la finale derrière une voyelle dans les mots -comme ami(e), ru(e), houché{e), et s'éhde naturelle- ment dans les groupes comme ru(e) étroite, etc. Il en est de même à l'intérieur du mot dans enrou(e)ment, dénu(e)me}jt, écrits aussi etiroûment, dénûvient (cf. § 17, Z» 2°). Toutefois on peut se demander si Vç en tombant n'a pas légèrement allongé la vo\-elle précédente, et si en finale absolue, par exemple, mon ami(e) se prononce exactement comme mo)! ami.
b) A la fin des mots proférés isolément, 1'^ est devenu muet derrière toutes les consonnes, avec des degrés cependant ; car on perçoit encore une sorte de murmure confus après certaines consonnes, comme b, d, g, v, x (dans tombe, vide, page, étuve, axe), et surtout après les groupes formés de consonne + liquide
— 32 —
(dans viviw marbre, table, etc.). L'élision bien entendu se pro- duit devant toutes les voj-elles dans des groupes tels que crm/(e) affreux, ou pauvr(e) enfant. Quant à- la pleine conservation de \\; derrière une consonne, elle n'a liecf à la finale que dans les conditions qui vont être indiquées.
c) La règle essentielle pour l'f qui, soit dans le mot isolé, soit dans la phrase, se trouve à la fois précédé et suivi par des con- sonnes, est en effet celle-ci : c'est qu'il s'efface entre deux con- sonnes, mais conserve au contraire sa sonorité pour éviter une succession de trois consonnes. C'est en vertu de ce principe qu'on prononce d'une part ach(e)ter, carr(e)four, dur(e)ment, jav(e)lot, enn{e)mi, mais d'autre part dpretê, sifflement, justement, parlerai ; \'s subsiste également devant les groupes formés de /, r -h / en hiatus, dans toinielier, chancelier, aimerions à côté de aiin(e)rons, etc. Les mêmes faits se reproduisent à la finale des mots groupés dans la phrase, et c'est ainsi qu'en face de cach{e')-toi , tout(é) la maison, on a au contraire un ç. pleinement sensible dans souffle pur, prendre tout, parle donc, triste maison, etc.
d) Dans la syllabe initiale du mot, et toujours d'après la même règle, Vç sourd se fait entendre devant consonne -\- liquide, dans chevron, degré (ou derrière les mêmes groupes dans frelon, crez'er). En revanche, quoique l'on profère isolément cheval, fenêtre, retard, etc., ces derniers mots deviennent dans la phrase à ch{e)val, la f(e)nêlre, sans r^e^ard, puisqu'ici le cas rentre dans celui de ach(e)ter : comparez encore pars demain avec parte^ d{e)nHiin . On prononce sans §, même à l'état isolé, des mots comme p{e)loton, p(e)luche, et quelques autres.
e) Enfin, dans les monosyllabes je, me, te, se, ce, le, que, de, ne, le son de Vç n'est consistant qy'en théorie, et lorsqu'on les profère isolément : mais leur e (ainsi que l'a du pronom féminin la) s'élidait déjà devant une initiale vocalique à l'époque ancienne de la langue. Aujourd'hui, l'emploi de ces petits mots dans la phrase donne lieu à des faits spéciaux et complexes : la règle générale est que, si deux syllabes successives contiennent (, on ne fait entendre ce son que dans une. On prononce donc ordi-
— 33 —
nairement/c/(e) vois, comme dev(e)nir, red(e)iuaiider : la pronon- ciation inverse j(e) le vois, dÇeyveiiir, est plus négligée. Lorsque plusieurs g se trouvent à la suite, ce sont en général ceux des s\-llabes paires qui sont sacrifiés: je /(c) le dirai ; je «(c) te l(e) dirai pas ; il faut que j(e) te l(e) dise. Toutefois l'inverse a lieu, si les monosyllabes ce, ne, commencent la série : c{e) que j(e) te disais ; nous n(è) te l(e) demandons pas. Les témoignages d'Oudin et de Duez prouvent que, dans la société polie, ces règles de syncope étaient déjà vers 1650 à peu près ce qu'elles sont aujourd'hui, quoiqu'elles soient loin de s'être implantées d'une façon uniforme dans toutes les régions de la France. — D'ail- leurs, des syncopes du même genre se produisaient pour ces monosyllabes en ancien français, où l'orthographe en avait tout d'abord tenu compte (formes nem, nel, sii, pour ne me, ne le, si te ; et aussi kis, jes, pour qui les, je les, etc.).
Comme conséquence de tous ces faits, il faut constater que depuis trois ou quatre siècles l'effacement croissant de \'§ sourd a amené dans la langue des heurts multipliés de consonnes, et la production de groupes nouveaux devant la rudesse desquels le latin avait reculé. C'est ainsi qu'on entend maintenant en fran- çais des groupes /h, ni, mr, dk, tv, et autres. 11 en résulte éga- lement que les règles adoptées depuis Malherbe par notre versification sont devenues archaïques et toutes convention- nelles,notamment en ce qui concerne le compte des syllabes. Un alexandrin comme celui-ci, qui est de Rostand :
J'ador(e) comm(e) lui la rein(e) que vous êtes,
n'a en réalité que neuf syllabes, si on le prononce d'une façon normale.
Remarque I. — Dans certaines formes verbales dérivées de l'infinitif, la présence d'un second g dans la syllabe contiguë amène le renforcement en ç du premier : c'est ainsi qu'on a lèverai, gèlerai, achèterai, à côté de lever, geler, acheter, etc.
Remarque II. — Le pronom le placé comme complément
— 34
derrière un impératif est devenu accentué (ainsi dans fl/wc^;-/^/) d'enclitique qu'il était jadis ; il ne s'élide plus devant une vovelle, et un hémistiche Prenei-l(e) un peu moins haut, n'a été possible que jusqu'à l'époque de Molière. Le seul enclitique que possède la langue est le pronom je sujet dans des formules que dis-je, puissé-je, qui sont déjà archaïques (cf. § 15, IIl).
CHAPITRE III. — INFLUENCES AUX- QUELLES SONT SOUMISES LES VOYELLES.
21. Des faits exposés dans le chapitre précédent, il résulte que les voyelles latines qui ont persisté d'une façon régulière, lors du passage du mot en français, sont seulement : i° celle qui portait l'ac- cent d'intensité; 2" celle de la syllabe initiale pro- noncée avec une netteté particulière. Tout en per- sistant, ces voyelles ont éprouvé généralement des modifications, soit spontanées, soit dépendantes.
Ces voyelles latines (qui dans la prononciation vulgaire sont au nombre de sept : a, e, e, i, o, o, ii, cf. § 2) n'étaient pas en effet isolées dans le mot. Elles y occupaient une certaine position, étaient contiguës à d'autres sons qui ont exercé sur leur traitement des influences de diverse nature. Ces influences sont au nombre de quatre principales :
1° Action de l'entrave ;
2" Action d'un / vocalisé ;
3° Action du \od ;
4° Action des consonnes nasales.
Nous allons définir chacune de ces influences,
- 36 -
dont il faudra tenir compte plus tard (ainsi que de certaines influences plus restreintes, § 34). Ce qui va être dit ici s'applique avant tout aux voyelles de la syllabe accentuée, mais' aussi dans une certaine mesure à celles de la syllabe initiale.
a) Action de l'entrave.
(voyelles libres et voyelles entravées)
22. Les voyelles sont dans tout mot latin libres ou entravées. Cette distinction est capitale : car, pour passer en français, la même voyelle subit d'ordinaire un traitement différent, suivant qu'elle occupe l'une ou l'autre de ces positions. On peut dire qu'en géné- ral les voyelles libres ont évolué d'une façon plus spontanée, et ont éprouvé des changements plus considérables : l'action de V entrave .■â. donc été essen- tielleinent conservatrice.
23. On appelle voyelle libre :
1° Une voyelle suivie d'une seule consonne. Ainsi a est libre dans mare, nasu (prononcez ma-re, na-su^.
2" Une voyelle suivie de l'un des quatre groupes tr, clr, pr, br, groupes dans lesquels la liquide r s'unis- sait intimement aux dentales /, d, ou aux labiales p, b. Ainsi a est libre dans paire, capra, labra (prononcez pa-tre, ca-pra, la-bra).
— 37 —
3° Une voyelle suivie du groupe us, groupe dans lequel on ne faisait pas entendre le n en latin (§ 195, II). Ainsi e est libre dans t>u'{ii)st' .
Remarque I. — Les voyelles dans le cas assez rare où elles se trouvent en hiatus (§ 4), sont naturellement des voyelles libres. Ainsi ^ et e sont respective n:îent libres dans déu, via.
Remarque II. — Les voyelles suivies de gutturale -|- con- sonne se sont trouvées libres dans une certaine mesure, par suite de la résolution de la gutturale (voir § 27, 3°).
Remarque III. — Pendant la période romane primitive, les voyelles libres portant l'accent d'intensité se sont générale- ment allongées dans la prononciation, et cette nouvelle quan- tité (qui n'a plus aucun rapport avec celle du latin classique, §5 i et 2) a entraîné des diphtongaisons pour plusieurs d'entre elles. Sur ces faits voir notamment §§ 46, 54, 66 et 72.
24. On appelle voyelle entravée, toute voyelle sui- vie d'un groupe de deux ou plusieurs consonnes (autre que les groupes énumérés au § 23). L'entrave a une double origine :
1° Elle est dite latine, lorsque le groupe de con- sonnes existe originairement dans le mot latin ;
2° Elle est dite romane, lorsqu'elle est de formation postérieure et amenée par l'effacement d'une voyelle atone.
Ainsi a est entravé dans les mots parte, pasta, as(j)nu, man(î)ca. Dans parte, pasta (prononcez
- 38 -
par -te, pas-td), l'entrave est latine ; dans as{i)nii, )]ian{i)ca, l'entrave est romane, c'est-à-dire amenée, par l'effacement d'un / atone. Les voyelles subissent d'ailleurs en général le même traitement, que l'en- trave soit d'origine latine ou romane (voir cependant §47).
Remarque I. — L'entrave dite roinaiie s'est en réalité pro- duite quelquefois dès l'époque latine, et même de très bonne heure dans la prononciation populaire. On disait à Rome vir'de pour vindeni, etc. (cf. à ce sujet § 15, hist.).
Remarque II. — Il n'y a pas ordinairement entrave, lorsqu'une voyelle atone s'efface entre deux consonnes dans la syllabe finale du mol : ainsi rt eto doivent être considérés comme libres dans /o;7fl/(i)5, môv(e)t. Ceci prouve que dans ce cas l'ef- facement de l'atone a été relativement tardif (cf. § 13, II).
Remarque III. — Le fait d'être libres ou entravées a eu des conséquences moins importantes pour les voyelles de la syl- labe initiale (cf. § <S6).
b) Action dun / vocalisé.
25. L'entrave d'origine latine ou romane, formée par / suivi d'une autre consonne, offre un cas spé- cial. Dans cette position / s'étant vocalisé en u à un moment donné (§ 188), il en est résulté que cet u s'est généralement combiné avec les voyelles précé- dentes, et les a altérées de différentes façons. Ainsi Va et l'() de alba, )nôl{e)re, ont abouti respective-
— 39 —
ment à au [o] et ou [//-] dans les mots français aube, moudre.
Remarque I. — La combinaison du / vocalisé avec les voyelles / et u n"a pas laissé de traces en français (cf. ^ i88, 1).
Remarque II. — Il faut de plus observer qu'avant de se vocaliser / -j- consonne avait exercé une action régressive sur c accentué qui s'était diphtongue en ea (ainsi hch est devenu heah avant d'aboutir à beau, § 48).
c) Action du yod.
26. On donne le nom de yod (dixième lettre de l'aphabet phénicien priinitii) à la fricative palatale qui s'entend au début des mots français yeux, yole (des mots anglais yacht, yes, ou allemands jahr, jocJi). Cet élément palatal, qu'on appelle parfois semi- consonne ou semi-voyeJIe, a joué un rôle considérable dans la transformation française des mots latins : son action complexe s'est exercée non seulement sur le traitement des voyelles, mais aussi sur celui des consonnes. Nous le désignons souvent, pour abréger, par le signe y.
27. Le yod peut être d'origine latine ou romane: 1° Il existait déjà en latin classique (écrit /, ensuite
/ vers la Renaissance) dans certains mots, soit à l'initiale {iain, jungere), soit à l'intérieur entre voyelles {major, raja^.
— 40 -
2° D'après la prononciation du latin vulgaire, il est en outre représenté par tout / ou è atone qui se trouve en hiatus (§ 4, III). Il y a donc un yod d'ori- gine latine dans des mots comme parïa, vinêa, rabla,
3° Enfin, à l'époque romane, le yod provient des consonnes gutturales, r, g et x {= c -|- s), qui ont en certains cas la propriété soit de se résoudre voca- liquement, soit de dégager un yod tout en persistant sous une forme quelconque. Il y a donc eu produc- tion d'un yod d'origine romane dans des mots comme baca, pla^a, axe, factu, pace.
Remarque. — • Dans les mots d'origine germanique, le / avait en principe la valeur d'un yoi, et s'est comporté comme tel.
28. L'action du yod, quelle que soit son. ori- gine, s'exerce sur les voyelles de deux façons essen- tielles :
1° En amenant une combinaison ; 2° En produisant une entrave.
29. Il y a combinaison du yod avec la voyelle pré- cédente :
1° Lorsque le yod existe déjà entre deux voyelles en latin classique (raja, raie ; maju, mai) ; ou qu'il est séparé de la voyelle, soit par un d tombé de bonne heure dans la prononciation (ra(d)ïu, rai),
— 41 —
soit par un g qui devient lui-même 3' (exagïu, *exayiu, essai) ;
2° Lorsqu'il est séparé de la voyelle par r, t, s, ou par les groupes ss, st, str, qui permettent au yod de se transposer en avant (paria, paire ; palatin, palais ; basïat, baise; *bassïat, baisse; angustïa, angoisse; ostréa, huître) ;
3° Lorsqu'il provient d'une gutturale qui se résout vocaliquement (baca, baie; plaga, plaie; axe, ais ; factu, fait), ou qui dégage un yod tout en persistant sous une forme quelconque (pace, paix).
Remarque. — Un yod provenant d'une gutturale ou d'une consonne palatalisée peut aussi eh certains cas se dégager, devant la voyelle, et amener alors des combinaisons ou des phénomènes divers (cf. notamment v^ 41, 42, 59).
30. Il y a production d'une entrave :
1° Lorsque le yod se combine avec c pour lui don- ner un son sifflant (*glacïa, glace) ;
2° Lorsqu'il se combine pour les mouiller avec / ou n (paléa, paille ; niac(ù)la, inaille; montanéa, montagne) ;
2° Lorsqu'il se consonnifie en 1 ou ^ (écrits ch, g) derrière les consonnes labiales p, b, v, /;/ (sapia(m), sache ; rabïa, rage ; cavéa, cage ; vindemia, ven- dange).
Remarque. — L'entrave résultant de la présence du vod
6
— 42 —
n'a pas eu d'influence sur le tmitememt de ç et o accentués (cf.
31. L'action du yod se maniftste en général sur les voyelles de la syllabe initiale de la même façon que sur les voyelles accentuées. Ex. Ratïône, raison; messïône, moisson ; tractâre, traiter.
d) Action des consonnes nasales (M, N).
32. Certaines voyelles accentuées, lorsqu'elles étaient en latin suivies d'une nasale simple, ont subi de bonne heure une évolution particulière : ce sont a, Ç, g, p(cf. §§ 43, 6o, 71, 77)- Les nasales n'ont pas eu à l'origine d'influence spéciale sur e, i, u (cf.§§ 51, 65,82).
Remarque I. — Les nasales doubles n'ont point sur les voyelles accentuées l'influence des nasales simples. Comparez le mot flainma, qui devient en français 7?(/»/'«(', avec ama qui abou- tit à aime.
Remarque II. — Les nasales n'ont eu d'influence sur a et e que lorsqu'ils étaient accentués : làna aboutit en français à laine, tandis que maiiéie devient manoir. Suivis d'une nasale, 0 et ç se sont comportés dans la syllabe initiale comme 'sous l'ac- cent (d.'i, loi).
33. Plus tard, lorsqu'une consonne nasale s'est trouvée à la finale du mot, ou placée intérieurement à devant une autre consonne, cette nasale a perdu en
i
— ^3 — français son articulation propre et a nasalisé la voyelle précédente (ce qui signifie qu'elle lui a communiqué un son particulier en se fondant avec elle). Sur cette action d'un effet très général, voir Vlntroduclion, II, 14 : comparez aussi, pour l'époque moderne, les mots français âne, âme (prononcés an, âni), où la nasale suivie d'un e conserve son articulation, et les mots an, jambe (prononcés à, {àb).
Remarque I. — Cette nasalisation, qui a eu lieu à des époques différentes pour les diverses voyelles, s'applique aux atones aussi bien qu'aux voyelles accentuées : voyez les mots planter, fontaine (prononcés pl-ltç, fôten), dont les premières syl- labes ne se trouvent pas sous l'accent. Elle atteint les mots d'em- prunt comme les autres.
Remarque II. — il y a en français moderne quatre voyelles nasales <7, è, ô, œ (correspondant respectivement aux quatre voyelles ouvertes à, f, 0, œ). Ce sont celles qu'on entend dans les mots : sang [sa], vin [vè], son [sa], brun [brœ].
e) Influences diverses.
34. En dehors de ces influences qui ont eu sur le traitement des voyelles latines une action souvent décisive, on en constate encore d'autres, mais d'une portée moindre, ou qui ne se sont fait sentir que dans des cas isolés. Ces influences secondaires seront notées à leur place dans les chapitres suivants, et on peut se contenter de signaler ici :
44 —
1° L'action régressive qu'exerce à distance 1'/ final sur un e accentué dans certains mots (cf. § 5 5>
2° L'action qu'a le v de la finale -avu sm\a avec lequel il se combine (cf. § 3 5. ^I)'
3° L'action régressive qu'exerce parfois la vibrante y sur un e qui devient a (cf. §§ 47> II ' 94, hist.) ;
4° L'action de s, devant lequel a prend un son vélaire, et o un son fermé (cf. §§ 36, U 67, I;
83,!)^
50 L'action des consonnes labiales sur certames
voyelles placées devant elles (cf. §§ 57, " ; 72, 1), ou quilessuivem(ct. §§38, lV;6o, I;92, II).
CHAPITRE IV. — TRAITEMENT DES VOYELLES ACCENTUÉES.
A accentué
{â ET à EN LATIN CLASSiaUE).
a; A libre.
35. Va latin accentué et libre devient en français e devant une consonne qui conserve son articulation, e lorsqu'il est final ou suivi soit d'une consonne qui ne se prononce pas, soit d'un e muet . Ex. : «) Mare, mer; sal, i-t'/; taie, tel; pâtre, père; sapa, sève; faba, fève; celt. *gvd.yi{, grève ; labra, lèvre. — b) Pratu, pré; bonitate, bonté; cantare, chanter; nasu, ne:{ ; *ad- satis, asse:^^; c\a.ve,clef; fata, fée; *contrata, contrée.
Historique. — Le changement de \\i accentué libre est un des faits capitaux de la phonétique française. Il atteint un nombre considérable de mots, notanmient tous les infinitifs en -are, fr. -er (portare, porter), les formes de participes en -alu, -ata, fr. -c, -e'e (povtâtu , porté ; porXâta, portée), les 2^^ pers. pi. en -atis, fr. -e:^ (portatis, ^or/g;{), les 5^5 pers. pi. du parfait an-arunt (portarunt, portèrent). De plus, il caractérise nettement le fran- çais par rapport aux autres langues romanes littéraires, y compris le provençal. — Cet obscurcissement de l'a paraît s'être produit, dans le nord de l'ancienne Gaule, vers la fin du viiie siècle, et
-46 -
n'a pas lieu dans les proparoxytons comme àshiu, male-hdbUii, devenus âne, malade (les Serments de 842 offrent encore des graphies Jradre, salvar, returnar, mais qui sont sans doute archaïques ; la Cantilène d'Eulalie, écrit déjà uniformément spede, getterent, preseiitede, etc.). L'évolution s'est propagée au Sud jusqu'à une ligne qui part approximativement de l'embou- chure de la Gironde, passe au-dessus de Limoges, longe les premiers contreforts du plateau central, puis coupe la Loire vers Roanne et la Saône vers Mâcon pour aboutir au lac de Genève. La valeur qu'avait en ancien français le son issu de a accentué est douteuse. Tout ce qu'on peut affirmer c'est que des mots comme uier, bonte(t), chante:^, etc., n'apparaissent d'abord grou- pés qu'entre eux ; ils n'assonaient point avec les mots comme tei-re, messe, dont l'i; ou Ve étaient brefs. Comme on doit suppo- ser théoriquement que Va a dû passer d'abord par un son a très ouvert, il est possible que, dans mer et semblables, on ait eu au xiie siècle un ç long. Vers la fin du moyen âge, la prononciation a commencé à se scinder d'après le principe énoncé plus haut, qui a fini par prévaloir, mais après certaines fluctuations. Il semble qu'on a eu quelque temps un e non seulement dans les finales directes, mais aussi devant certaines consonnes et notam- ment r. Au XYii"^ siècle, les grammairiens demandent en général qu'on écrive ^(;V«, mère, frère, et en 1736 d'Olivet maintenait cette orthographe ; l'Académie hésitait encore en 1740, et ce n'est qu'à partir de l'édition du Dictionnaire publiée en 1762 qu'elle a indiqué uniformément un è pour les mots de ce genre.
Remarque I. — Dans les mots écrits en français moderne aile (= ala), clair (= c\3.ru), pair (= pare), braise (= germ . *brasa), on a un fait purement orthographique, la substitution à è du groupe ai qui a le même son simple : l'ancien français écri- vait régulièrement ele, cler, per, brese. Cf. aussi ^an (afr. J« = sapis) et sait (afr. set = sapit), qui sont dus à l'influence de sais, afr. sai (=: *sayo, cl. sapio, § 171, III).
Remarque II. — Les mots où a accentué libre se trouve
— 47 —
conservé sont de provenance méridionale (rave, tmiscat, salade, dorade, et tous ceux dans lesquels une finale -ade correspond au (ï. -ée = -ata) ; ou bien ils sont des emprunts savants (lac, cas, cave, rare, avare, état, consulat, et autres mots avec une finale -at=z -atu). Il faut surtout noter dans cette seconde catégorie les adjec- tifs comme loyal, royal, égal (à côté de mortel, charnel, formel, etc.) : le suffixe -al, employé par les clercs au lieu de -el, a été adapté de bonne heure même à des mots d'origine populaire (cf. loyal à côté de légal), et inversement une forme du xiie siècle telle que personal a été remplacée dès le xiiie par personnel. Dans quelques mots comme fronteau, linteau, pour afr. frontel (= frontale), lintel (= limitale), il s'est opéré en moyen français une substitution du suffixe -eau (= -ëllus, § 48) ; dans quelques autres comme poitrail, portail, pour afr. poitral (= pectorale), portai (z= *portale), on a eu vers la même époque une action analogique du suffixe -ail {z= -alïu, -acùlu, § 40), qui s'est produite d'après la similitude des formes au pluriel (afr. sospirail, sospiraus, comme portai, portaus, d'après le § 191, hist.). Quant à la longue hésitation entre coral et corail qui l'a emporté vers la fin du xviie siècle, elle remonte jusqu'au latin où coexistaient les deux types cora////;// et coralliuni.
Remarque III. — Dans la conjugaison, des formes origi- naires levé (= lavât), père (= parât) étaient devenues lave, pare, dès le xiie siècle, sous l'influence de laver, parer, (^ lavare, parare, § 88). Dans vaut, afr. valt (=^ valet), le maintien de Va semble dû à l'influence de valoir (z= valëre) ; dans chaut, afr. chalt (^ calet), à celle de l'ancien adjectif r/;fl// (= caldu). On trouve aussi en afr. la forme régulière chielt. — Quant à la flexion -a(f) des 5es pers. sg. du parfait comme porta, chanta (lat. vulg. *portaut, *caiitaut, pour portavit, cantavit), elle paraît due à l'analogie de a (= *at, cl. habet).
Remarque IV. — Un certain nombre de formes ont con- servé a (conformément au § 88) par suite d'un emploi procli-
-48 -
tique ancien. C'est ainsi qu'on a dans la conjugaison : as (=:*as), a (=*at), z'a (= *va), cf. §8, 5°, et peut-être aussi vas (■-= va- dis), va (=: vadit). Parmi les formes pronominales : la( = iHa), ma, ta. sa. Parmi les formes adverbiales ou préposition- nelles : à (=: ad), [ih']jà (= jam), là (= illac). Il faut aussi noter car (j^= quare) et ma! (=: maie), qui l'ont emporté sur les formes accentuées, quer, niel, usitées dans le plus ancien français. Sur tous ces faits, voir le § 8.
Remarque V. — L'adjectif graveÇm) devenu *grëve en latin vulgaire (sous l'influuice de lève) aboutit xgrîef, d'après le § 46. — La terminaison -î«'(§ 39) pour-^r dans des mots comme écolier (afr. escoler = scholare), bachelier (afr. bacheler =z *bacca- lare), sanglier (afr. meugler =z singulare), collier (afr. coler = col- lare), /'///Vr (afr. ^/Vt'r =1 *pilare), soulier (afr. soler = *subte- lare), etc., est due à une substitution de suffixe qui s'est opérée en moven français. L'afr. tarerc (=: celt. *taratru) est passé de même à tarière.
Remarque VI. — L'a accentué de la finale -dvu appelle enfin une observation spéciale (clavit aboutissant à cloii, tandis que r/rftr donne régulièrement clef). Dans cette terminaison, \ç.v, n'ayant pas perdu en latin sa valeur vocalique, s'est combiné avec Va pour donner 0 devant 1'// final maintenu par l'hiatus (§ 13, I): on a donc obtenu ou, et par réduction u (écrite;/). Ex. : Clavu, clou ; Andecavu, Anjou ; Pictavu, Poitou (tandis que les noms de villes Angers et Poilicrs remontent aux anciens locatifs Andecavis, Pictavis). On a eu le même processus dans *papavu (cl. papaver) qui est en afr. puivu (passé ensuite k pavot par changement de suffixe), et dans un type *blavu (germ. blâw) d'où est sorti Tafr. blou, plus tard bleu (cf. afr. pou devenu peu, à côté Aa'trou, § 84, II); le lat. fagu avait également abouti à l'afr. fou (d'où le dérivé /oMc/). On retrouve enfin cette évolution devant uni/ final dans les types germaniques baivu devenu bouc, hnva devenu en afr. choue{<yoi\ le dérivé choucllc), et aussi dans
— 49 —
la flexion de l'imparfait -aba(ui) qui, à l'ouest de la France, a été à l'origine -oe, -oue (sur son sort ultérieur, voir § i66, II). Pour eau (=r aqua), cf. § 38, V.
Jb) A entravé.
36. Va latin accentué, devant une entrave d'origine latine ou romane, reste intact en français. Ex. : (7) Arbore, arbre; germ. *warda, garde; quartu, quart; carru, char; caballu, cheval; *vassallu (celt. gwas), vassal ; cappa, chape ; vacca, vache. — h") Lar(i)du, lard; tab(ù)la, table; male-hab(ï)tu, malade ; nav(i)gat, nage.
Remarque I. — ^11 faut observer toutefois que Va corres- pondant à un a latin entravé est en français moderne tantôt pala- tal comme dans les mots cités plus haut, tantôt vélaire {a ou d, avec certaines différences de quantité). Le trait le plus notable, c'est que le son est toujours vélaire, lorsque Va se trouvait à l'origine devant un 5 {ss double, qui se conserve orthographi- quement au milieu des mots ou s'efface à la finale ; s -j- consonne qui s'efface d'après le § 157, mais est en général remplacé dans l'orthographe par un accent circonflexe sur Va). Ex. : Quassat, caise\kds^; crassu, gras [grd] ; b.TSSu, bas \bd] ; bastu, hdt \lui] ; pasxa, pdte[pdt]', as(ï)nu, dne [du]. Le mot masse (=1 massa) se prononce vias par confusion avec masse (= *mattea) ; fiasse (= nassa) s'est prononcé nds jusqu'au milieu du xixe siècle ; enfin crasse (crassa) qui sonne kras est d'introduction savante. — Cf. aussi la prononciation de chdsse [Ms] =: capsa, dme [dm] = an(ï)ma.
Remarque II. — L'afr. achate (= *accaptat) est devenu aibète (cf. acheter, afr. achater), sous l'influence des verbes en
— 50 —
-eti-r ; la forme ancienne du radical se retrouve dans le subst. verbal achat.
Remarque III. — D'une hésitation qui s'est produite dans la période du moyen français entre la prononciation ar ou çr -\- consonne (cf. §47, II), il est resté dans la langue littéraire serpe pour afr. sarpe (= *sarpa), gerbe pour afr. jarbe (z= germ. *garba), chair [sçr] pour afr. charii (^ carne), et aussi aspergée pour afr. esparge (asparagus) qui est un mot savant. Quant à l'hésitation entre serge et sarge (encore préféré par M'^^ de Ram- bouillet), elle pourrait remonter jusqu'à un type du lat. vulg. *sarka (cl. sërïca).
37. L'a qui se trouvait entravé devant / -|- con- sonne, aboutit en français par combinaison à 0 (écrit an). Ex.: Talpa, taupe; alba, aube; malva, mauve; salvu^ sauf ; alteru, autre; Lal(i)(Ju, chaud; valles, vaux ; palnvà, paume ; alnu, aune.
Historique. — Vu provenant de la vocali.sation de / (§ 188) s'était combiné avec Va pour former une diphtongue qui, au moyen âge, était réelle et se prononçait au, aiu (assonant avec les mots en a simple). Cette diplitongue (contrairement à au latin originaire, § 83) est devenuec dans la période du moyen français, sans doute par ao, oç : Palsgrave, vers 1530, et Meigret un peu plus tard, parlent encore de cette prononciation ao (dans aolre, etc.), qui semble déjà à ce moment avoir été dialectale.
Remarque I. — Le mot balneum, par effacement de /, était déjà enlat. vulg. */'(i/u'«, d'où le fr. bain (f;4)). — De noms propres germaniques très répandus, comme Ausiuald, Grimwald, etc., on avait tiré de bonne heure en Gaule une finale péjorative -atcljt, qui est devenue en afr. -ait, -aut puis aud, et qui se trouve dans maraud, courtaud, noiraud.
— 51 —
Remarque II. — Le mot pieu, provenant de palus (où Va ne s'est trouvé entravé qu'après être passé à e), offre un cas spécial. On a eu d'abord en afr. comme régimes un sg. pel (= palu) et un fl.pels (:= palos) : c'est sur cette dernière forme, devenue pietis, par un développement peut-être dialectal de el -|- consonne en ieii (cf. en afr. tiens -r^ talis), qu'on a refait ensuite un singulier.
c) A sous l'influence du yod.
I" Cas : a + y.
38. Lorsque Va accentué est suivi d'un yod d'ori- gine latine ou romane, qui peut se combiner avec lui (§ 29), il résulte en français de cette combinaison un ^g écrit ai. Ex.: a) Maju, mai; major, maire ; ba(d)iu, hai; Sivéa., aiir; variu, vair ; pîihiiu, palais ; basïatj baise; *bassïat, baisse; *crassïa, graisse. — Z') Baca, baie; plaga, plaie; celt. saga, saie ; lacté, lait; hc(é}re, faire; laxat, laisse; Ax(ô)na, Aisne; pascere, paître ; pace, paix.
Historique. — Dans tous ces mots français on avait à l'origine une diphtongue ay décroissante, c'est-à-dire accentuée sur a : au xi^ siècle les mots comme faire se trouvent en asso- nance avec message et analogues. Vers iioo ay devint ey, et dés le milieu du xii* siècle cette nouvelle diphtongue se réduisit à ç simple devant un groupe de consonnes (paistre par exemple assone avec heste). Devant une consonne simple la prononciation diphtonguée se conserva plus longtemps, et il en fut ainsi sur- tout lorsque ai se trouvait en hiatus. Dans ce dernier cas, lu prononciation av subsistait en hioven français à côté de l'autre.
— 52 —
A la fin du xvie siècle Th. de Bèze, pour un mot comme plaie, indique encore les trois prononciations pJaye, plçye et pJee: la dernière n'a complètement triomphé qu'au xviie siècle.
Remarque I. — Lorsque ai eut pris le son de ^, les scribes commencèrent à écrire indiflféremment faire ou fere, etc. L'or- thographe étymologique l'emporta cependant à la longue, sauf dans quelques xnois: frêne (afr. fraisne = fraxinu) ; frêle (afr. fraile =z fragile) ; grêle (afr. graisle = gracile) ; allègre (afr. alaigre =i alacre) ; giu'ret (afr. guarait = vervactu) ; ^m«/ (afr. guait, de gnaitier = *wactare, germ. wahten). Cf. une ortho- graphe inverse dans aile pour ele,etc. (§35, I)-
Remarque II. — La diphtongue graphique ai a une pro- nonciation qui flotte encore entre e et e dans certaines formes verbales : ai (^= habe'o), sais (=z sapio), les parfaits comme por- tai (=*portai, cl. portavi), et les futurs comvae porterai (= por- tare-habeo). Cf. aussi l'adjectif o"(7î [ge] dont l'origine est d'ail- leurs incertaine.
Remarque III. — Le mot air provenant de aer, où il y a eu combinaison de deux voyelles originairement en hiatus, n'est point un mot d'origine populaire. Sur cerise remontant à *ccresia' pour cerasia, voir §49 ; sur glaive (gladiu), cf. § 148, IL
Remarque IV. — Dans un certain nombre de mots savants d'emprunt ancien, le groupe ai semble être passé à oi (prononcé -'ua, § 54) sous l'influence d'une consonne labiale qui le précédait. C'est ainsi qu'on a eu : armoire pour armaire {= armariu), grimoire forme divergente de grammaire (= gram- matica, § 149, IV), poêle [pivàl] pour afr. paile (= palliu) ; de plus les substantifs verbaux émoi pour afr. esmai (de esmaier = *ex-magare, germ. magan), et ahoi pour afr. abai (de ahaier = *abbadiaie). Cf. le cas de moins qui a remplacé l'afr. meins, S 60, L
I
— 53 —
Remarque V. — Voici, d'autre part, quel a été le déve- loppement phonétique de aqtia pour aboutir au français eau [()]. La forme *aqwa (par un effacement ancien de l'élément guttural, § 137, 2°) s'est d'abord réduite à *dwa, où Va se trouvant libre est devenu e. Dans l'afr. eiue (cf. cve conservé par plusieurs patois, et le dérivé évier) il s'est dégagé un nouveau son a, entre e Qt w\ d'où *eawe qui, par vocalisation du iv, devient eaue et eau (effacement de Ve final au xvie siècle, § 12, 1).
39. Le sutfixe latin -anit, -ana a subi une trans- formation importante et qui lui est propre : il est devenu en Irançais ye, yer, écrits -ier, -ière. Ex. : Panarïu, panier; cellarïu, cellier; denarïu, denier; "pomzrm, pommier; argentarïu, argentier; caballarïu, chevalier ; pumanu, premier ; *sortiarïu, sorcier; ripa- rïa, rivière; caldarïa, chaudière; luminaria, lumière.
Historique. — Cette transformation, qui n'a eu lieu que dans les mots où -arîu, -aria étaient sentis commes suffixes (cf. vair =. vanu, paire =1 paria, etc., conformément au § 38), est un des faits obscurs et discutés de la phonétique française. On a supposé qu'elle s'est produite vers la fin de la période mérovin- gienne, sous l'influence de la prononciation germanique et des nombreux noms propres comme Bertharius, Guntharins, etc., d'abord latinisés sous cette forme, puis devenus par suite de r« Umlaut » Bertheriui, Guntherius ou Bertherus, Guntherus. Ce qui est certain, c'est qu'au viiie siècle l'évolution de -ariu en -èriu, et même -éru au nord de la Gaule est attestée par des (ormes ponierius {= pomarius) dans les Gloses de Saint-Gall, sorcerus (= *sortiarius) dans les Gloses de Reichenau : dès lors cet -éru pouvait aboutir en français à -ier d'après le § 46. — Rela- tivement à la prononciation du français moderne, il importe d'observer qu'au cours du xyii^ siècle -ter, par diérèse, est devenu
— 54 —
dissyllabique derrière consonne -j- r,l. Les mots comme owfnVr, meurtrier, tablier, néflier se prononcent donc uvriye, niœrtriye, tabliye, nefliye (de même au féminin uvriyp-, etc.), tandis qu'on continue à dire ^îrarvf, S^valye.
Remarque I. — Sur la substitution de -ter à -er dans les mots comme écolier, pilier, etc., cf. 5 35, V. Sur les mots de l'afr. clochier, hergier, réduits en fr. mod. à clocher, berger, etc., cf. § 41, hist.
Remarque II. — Il faut observer que les mots comme contraire (contrariu), adversaire (afr. aversier = âdvetsmu), pri- maire (doublet de premier := primariu) sont, en français, des emprunts savants, et que le suffixe -aii-e y correspond à -ter.
40. Lorsque Va accentué est suivi d'un yod qui se combine avec une autre consonne (groupes^^i?y,^3'jî'/7 sur wjy cf. § 45^), oth qui se consonnifie derrière une labiale (§ 171), il en résulte une entrave devant laquelle a reste intact en français conformément au §36. Ex. : a) Brac(h)ïu, bras ; brac(h)ïa, brasse; *glacïa, glace ; aliu, ail ; paléa, paille ; muralïa, muraille ; germ. *thwahlia, louaille ; mac(ù) la, maille ; divinac(û)la, devinaille ; gubernac(ù)lu, gouvernail ; *suspirac(ù)lu^ soupirail). — b) Sapia(m), sache ; rabïa, rage ; cavéa, cage.
Remarque I. — ISa qui s'est conservé dans les mots cités plus haut, est généralement un a palatal en français moderne, mais plus long dans bras, rage, que dans brasse, glace. Le trait le plus notable est que cet a est palatal dans la finale de gouvernail, soupirail, mais devient un d vélaire dans la finale féminine de paille, iiiiuaille, etc. Cf. 5 36, I.
— 55 —
Remarque II. — L'important suffixe -ulïcti, qui aboutit à -âge en français (fromai^n'=i *forniatïcu, village = villatïcu, etc.), rentre lui aussi dans ce cas : sur sa transformation, voir § 149. Toutefois, dans les régions de l'Est et du Nord-Est, au lieu de -âge on avait ordinairement en moyen français -aige [flf], pro- nonciation dont il a subsisté des traces jusqu'au xvie siècle. — Sur les formes verbales /aw, plais, tais, et les subjonctifs ^/tîw, taise (à côté de fasse =: faciam), cf. ^ 1 19) 1° II-
2^ Cas : y -f a.
41. Si 1'^ accentué est précédé d'une consonne sur laquelle agit un yod, il aboutit en français à ye (écrit />'). Ex. : *Piytate (cl. pïétatem), pitié ; *mey- tate (cl. medïétatem), moitié; *amic(i)tate, amitié; dign(i)tate, afr. deiîitié, daintier.
Historique. — Nous n'avons dans ces mots pitié, moitié, amitié, daintier (cf. aussi chien ■=. cane), qu'un faible reste d'une action qui avait été très générale à l'origine. Lors de la formation première du français, tout a accentué précédé soit d'une gutturale' (résolue ou non en yod'), soit d'une consonne palatalisée par un yod, était devenue ie. On avait donc dans l'ancienne langue : chievre = capra, chier = caru, inarchie(t) = mercatu, congie(f) = commèi.tu, paiier =z pacare, mangier = manducare, traitier =^ tractare, laissier = laxare, aidier =r adjutare, baisier ^ basïare, iaillier^ talïare, /-oo^j/àv := *retun- diare, etc., etc. C'est pendant la période du moyen français, au xive et au xve siècle, que cet état de choses s'est profondément modifié. Derrière cb, g [s, ^], ainsi que derrière l ou n mouillés, la diphtongue s'est réduite à è, é par absorption de 1'/ : on a eu alors chèvre, marché, congé, manger, tailler, rogner, etc., et il en est même résulté que des noms comme houchier, hergier,vergier.
- )6 -
oreillier, etc. (où \'i appartenait en réalité au suffixe -ter § 39) ont suivi la même voie et sont devenus boucher, berger, verger, oreiller. Au xvie siècle les formes par k ne sont pas encore rares dans les mots de ce genre, mais elles ne semblent plus être à ce moment-là qu'une tradition orthographique. Le y dégagé par c devant a n'a persisté que dans le mot chien (= cane), où il se trouvait dans des conditions spéciales, faisant partie d'une diph- tongue nasale (cf. § 43, II). On peut considérer comme survi- vant encore, dans les mots du type payer, noyer[peye, nu'dyç], celui qui provenait de la résolution d'une gutturale. D'autre part, en moyen français, lesverhescndier, traitier, laissier,baisier, etc., se sont transformés par voie d'analogie (et non par voie phoné- tique, puisque ien'w était précédé ni de ch,g, ni de /,n mouillés). Un verbe comme traitier avait quelques formes (traitie, traitiei, trailierent), qui semblaient anormales dans l'ensemble de sa conjugaison : il a donc été assimilé à porter, tarder, etc.
Remarque. — Piété est le doublet savant àt pitié. A côté de amnistié l'ancien français avait mendistié (= mendicitate), refait en mendicitéplus tard. Le mot daintier aujourd'hui très déformé, et réduit à un sens tout spécial, a comme doublet d'emprunt dignité.
r Cas : y -f A -f y.
42. Si Va accentué se trouve placé entre deux yods, "il aboutit en français à /'. Ex. : Jacet, afr. gisi, gît ; cacat, chie.
Historique. — Ce changement s'explique par la produc- tion d'une triphtongue iay, réduite par effacement de l'élément médial à iy, puis i simple, avant les premiers documents écrits (cf. la réduction de iey à i, § 49). Le mot jacet a donc passé en théorie par les étapes "d^iayst, *d\iysl pour à^vQmr g ist, gît.
— 57 —
Remarque I. — Jactat devrait aboutir à gite, qui se trouve quelquefois, mais a été remplacé de bonne heure pur jette sous l'influence d'un autre radical (cf. § 155, II).
Remarque II. — Les exemples assez rares d'un a placé entre deux yods, deviennent très nombreux, si l'on fait entrer en ligne de compte tous les noms géographiques où le suffixe gallo-romain -iacu(m) aboutit à / (écrit _y) dans la région fran- çaise proprement dite. Ex. ; Clippiacu, Clichy; TloriAcu, Fleury ; Liniacu, Ligny ; Victoriacu, Fitry, etc.
d) A suivi dune nasale.
43. Va accentué et libre devant une nasale :
1° Devient en français e (écrit ai), si la consonne
a conservé son articulation devant un anciens' sourd.
Ex, : Amat, aime ; lana, laine ; vana, vaine ; germana,
germaine.
2° Aboutit à la voyelle nasale è (écrite aim, ain)
en se combinant avec la consonne, si celle-ci est
devenue finale. Ex. : Famé, /a//;/; pane, pain ; manu,
main ; nanu, nain\ vanu, fam ; *nonnane, nonnain \
*de-mane, demain.
Historique. — Voici ce qui s'est passé.' Vers la fin du viiie siècle, c'est-à-dire à l'époque de sa transformation générale (§ 35)) 1'^ libre, au lieu de s'obscurcir en e long devant une nasale, a persisté tout en dégageant un y par diphtongaison en aa, a§ : c'est ce que semble indiquer la graphie niaent (= manet) dans la Cantilène d'Eulalie (l'orthographe par ai a ensuite pré- valu). Pendant la plus ancienne période du français, on avait dans les mots cités plus haut une diphtongue nasale ûy dont on
7
- 58 -
trouverait à peu près l'équivalent dans le portugais moderne (wjJi « mère », etc.): on prononçait àoncJùym,pàyn, et de- même àymet, làynç. Cette diphtongue (parallèlement au pas- sage de ay à çy, § 38, hist.) est d'abord devenue cy au cours du xiie siècle (prononciation pèyn, èym§). Plus tard, par une évo- lution qui s'est produite dans la période du moyen français, et ne semble avoir été achevée que vers le début du xviie siècle, le son composé s'est réduit à è dans les mots de la série /<', pè ; tandis que dans les autres, la dénasalisation s'étant produite, parce que la nasale non finale continuait de s'articuler, on a obtenu le son f (pn, len).
Remarque I. — Le mot trame, qui avait été régulière- ment /mime (= trama) jusqu'au xyii^ siècle, a subi à ce moment- là l'influence du verbe trafiier (= *tramâre) ; vers la même époque avelaine (= abellana) est devenu aveline par changement de suffixe. — Dans la conjugaison, une forme régulière telle que l'afr. claime (= clamât) est devenue ensuite clame sous l'in- fluence du radical atone clamer (= clamâre) ; pour le change- ment inverse subi p2ir aimer, voir § 88,11. — Dans les res pers. pi. comme cantamus, portamus, la flexion -àmus (qui aurait abouti à *-ains) a été de très bonne heure remplacée analogique- ment par -ons (= -ûmus dû peut-être à la forme du verbe auxi- liaire sûmus), d'où le fr. chantons, portons (cf. §§ 60, IV, et 65,!).
Remarque II. — Un cas spécial est celui où a + nasale est précédé d'un yod : on aboutit alors en français à la combi- naison nasale j/, écrite ordinairement ien. Ex. : Cane, chien ; medianu, moyen ■,pâg3inu, païen ; decanu, (foje«; ligame(n), lien. Sur une prononciation yù pour yè dans les mots de ce genre (ainsi ^ué» confondu par plaisanterie avec payant chez Larivey au xvie siècle), voir § 51, hist. Cf. des mots à demi savants c/^re- tien, afr. chestiien (= christïanu), ancien, afr. anciien (— *an- tïan'u), qui ont amené l'extension de ce suffixe -îVk (=-ïanu) et son emploi dans grammairien, musicien, etc. De plus, cf. les
— 59 —
flexions originaires -iiens, -iens(= -ëamus, -iamus) des i^e^ pers. pi. de l'imparfait de l'indicatif et du présent du subjonctif, rem- placées en moyen français par -ions (afr. partiiens, partiens, fr. mod. partions, etc.). — Le mot faisan, afr. fesant, est un emprunt fait dès le xiii^ siècle au provençal/(7z:{a« (=^ pliasïanu). L'ancien nom de ville Orliens (= Aurelïanis) est devenu en fr. mod. Orléans (en trois syllabes).
44.L'iZ accentué, lorsqu'il est entravé par nasale 4- consonne, se combine avec la nasale pour produire à, écrit an, am. Ex. ; Annu, an ; pannu, pan; *bannu (germ. ban), ban\ grande, grand; *blancu (germ. blank), blanc ; campu, champ ; tantu, tant ; planta, plante; ra.zn(\)cz,manc}de; cam(é)ra^ chambre.
Historique. — Dans ce cas d'entrave Va est donc resté intact à l'origine. Ensuite la nasale a agi sur lui, mais sans perdre d'abord son articulation : on prononçait au moyen âge plante, tsâmbre, etc. L'étape actuelle n'a été atteinte qu'en moyen fran- çais (cf. §195, hist.) Aujourd'hui, dans certaines parties delà France, et notamment à Paris par suite d'une prononciation affectée, il y a tendance à trop avancer les lèvres pour pronon- cer â (qui peut provenir aussi de «-[-«,§ 61), ce qui le fait pas- ser à ô (voir Introduction, II, 14).
45. Devant n mouillé par un yod, Va accentué : 1° Est aujourd'hui intact, si le son n (écrit o-w)
est suivi d'une voyelle. Ex. : Montanëa, montagne;
Campanïa, Champagne ; Hispanïa, Espagne.
2° Se combine avec n devenu final ou suivi d'une
consonne pour aboutira è, écrit ain, ein. Ex. : a)
Ba(l)néu, bain ; stagnu, étain. — /») Plang(é)re,
V
— 6o —
plaindre ; *attang(è)re, aïr.ataindre, atteindre ■,*'m{rd.n- g(é)re, afr. enfraindre, enfreindre ; celt. *manctu, maint ; sancta, sainte.
Historique. — Les mots comme bain, plaindre, se pro- nonçaient dans la période prélittéraire du français bayn,playfidre. A partir du xi^ siècle, le n a perdu peu à peu son mouillement tout en nasalisant Va précédent : on a donc eu à ce moment une prononciation bàyn, plàyndre, analogue à celle de^Jv«(§43, hist.), et qui a subi ensuite la même évolution. Le mot étang remonte à un type vulg. "stancuÇcl. stagnum). — Relativement aux mots où, devant un n articulé, a se retrouve aujourd'hui intact (après avoir passé par une période de nasalité), il faut observer que, dans les provinces de l'Est et de l'Ouest, une finale latine comme -anëa avait abouti de bonne heure à -ene /'écrit -aigne, -eigne). Cette action du yod sur a accentué suivi de n paraît bien s'être fait sentir même dans le français du Centre, mais sans y prévaloir . Il en est résulté toutefois certaines hésita- tions, surtout au xve et au xvi^ siècle, pour la langue littéraire : Malherbe faisait encore rimer compagne avec dédaigne, et il nous est resté les formes châtaigne (= castanëa) et *araigne (dans musaraigne, araignée) à côté de aragne (■= aranëa), employé par La Fontaine. Cf. aussi le nom propre de Montaigne, où l'or- thographe a réagi sur la prononciation.
Remarque. — A côté de l'afr. entragne ou entraigne (=: interanea), qui était normal et a disparu, on trouve aussi par substitution de suffixe une forme entrailles qui a prévalu de bonne heure (cf. § 40, et déjà au viiie siècle intralia dans les Gloses de Reichenau).
— 6i — E ouvert accentué
(è EN LATIN CLASSIQIJe).
a)E ouvert libre.
46. L'f latin, accentué et libre, est devenu en français ye devant une consonne qui conserve son articulation, ye lorsqu'il est suivi d'une consonne qui ne se prononce pas (il s'écrit ie, iè). Ex. : a) Héri, hier; féru, fier; mél, miel; fél, fiel; pétra, pierre ; *ad-rétro, arrière ; Foro-vétere, Fourvière ; lép(o)re, lièvre; fébrej/m'^; brève, hrief. — b) Péde, pied ;*assèdet, assied.
Historique. — Cette diphtongaison de 1';' libre est ancienne et se retrouve dans la plupart des langues romanes. Au nord de la Gaule, elle a dû se généraliser vers le vi^ siècle : on trouve la graphie dieci (dëcem) dans un document mérovin- gien de 671. Au point de vue phonétique, elle s'explique par ce fait qu'à un moment donné les voyelles libres se sont allongées dans la prononciation, puis dédoublées (voir Introduction, II, 27 V). Théoriquement on est passé de mel (avec j- long) à meçl; puis à meel par suite d'une dissimilation entre les deux éléments, et à miel par une dissimilation plus forte. Cette diphtongue a été de bonne heure croissante, c'est-à-dire accentuée sur le second élément : enfin, en moven français, surtout à partir duxvie siècle, Ve y est devenu e lorsqu'il s'est trouvé final {pye à côté àç.myçl').
Remarque I. — Un cas particulier se présente dans le mot dëu, où I'm final s'était conservé par suite de l'hiatus (§ 13, I) : ce mot aboutit en français à dieH[dyœ] par des intermédiaires
— 62 —
théoriques âiçu, âiœu, dyiviu. Une transformation analogue est à noter dans le nom propre Mathieu (= Mathëu), et dans tonlïeu (= *tonolèu,cl.telonêum, gr. teXwveïov) : cf. aussi lieue(= *lègua, celt. leuga), § 137, 2°, et épieu, provenant du germ. speut, tandis que l'afr. estrieu (= germ. streup) est devenu ètriei- par chan- gement de suffixe.
Remarque II . — Dans le terme vieilli gel, pour afr. giel (=: gëlu), Vi de la diphtongue a été absorbé par la gutturale initiale ; href à côté de brief, et qui l'a à peu près supplanté, semble dû à une réaction savante. Certaines formes verbales anciennes, comme lieve (= levât), crieve (= crêpât), ont subi des actions analogiques et sont devenues dans la langue moderne lève, crève, mais en passant sans doute en moyen français par une étape l^e, cr^t'e (d'après lever, crever). Cf. § 54, II. — La conjonction , et (= et) est une forme proclitique, ainsi que la 2^ pers. sg. es (:= es), cf. § 8 ; sur par venant de pèr, qui est dans le même cas, voir 5 94, hist.
Remarque III. — L'adjectif féminin lie (dans l'expression faire chère lie) représente une forme afr. liée (== *lëta, cl. laeta, § 3, 2° ; masc. lié = *lêtu), où Vé entre î et § s'est effacé régu- lièrement dans les dialectes du Nord-Est. Quant au nom de ville Arras, il remonte à une forme Alrdbèles (transposée pour Atrchates).
b) E ouvert entravé.
47. Il y a lieu de distinguer ici entre l'entrave qui existait déjà en latin, et celle qui est d'origine romane (§ 24) :
1° Ve accentué suivi d'une entrave latine reste intact en français, Ex. : Férru, fer; pèr dere, perdre;
- 63 -
hérba, herbe ; cérvu, cerf; bélla, belle ; sépte(m), sept; testa, tête; *ad-préssu, après.
2° L'e accentué suivi d'une entrave romane abou- tit en français à iê, comme c libre (d'après le § 46). Ex. : Tép(i)du, tiède ; èb(u)lu, hicble; *antéph(o)na, antienne .
Remarque I. — Les exemples de la seconde série sont une preuve que l't s'est diphtongue de bonne heure, le fait ayant dû se produire avant l'effacement de la pénultième atone qui a amené l'entrave : autrement dit tépidit est devenu d'abord *tiehedu, puis *tieh'du, tiède. La diphtongaison manque dans le mot merle {=. mërulu). Celle qui s'est produite dans tiers (= tërtiu) s'explique sans doute, ainsi que la forme de nièce (= nèptia) et de pièce (^ celt. *pëttia), par la tendance constatée au § 50. — Sur vëstnim qui était en lat. vulg, *t'dstni, cf. § 67, L
Remarque II. — Dans la période du moyen français, l'i' suivi de r -j- consonne (parfois de r simple, et à l'atone comme sous l'accent) a eu une tendance à s'ouvrir en a : ainsi Villon fait rimer terme avec arme, et les grammairiens du xvie siècle parlent souvent de faits analogues (prononciation Piarre pour Pierre, place Maubart pour Mauhert, signalée par Henri Estienne). Comme cette tendance était essentiellement populaire, on cher- chait à réagiV par une prononciation inverse, et G. Tory dès 1529 fait remarquer que les dames de Paris disent volontiers : « Mon mery est à la porte de Péris. » — Le changement de f en a s'est fixé en irançais moderne dans les mots dartre pour afr. derte (= celt. *dèrbita), écharpe pour afr. esclierpe (:= germ. skerpa), barde pour afr. berde (=: germ. *herda) ; le mot larme pour afr. terme ou lairme (=z lacrïma) rentre aussi dans cette catégorie (sur des résultats inverses, voir § 36, III). On a hésité entre heri^ue (= hernia) et hargne (d'où le dérivé hargneux), et l'on a dit longtemps barge à côté de berge (^ *berga mot d'ori-
- 64 -
gine ligure, celt. *brîga). Dans lézard qui est pour *laisert (= lacertu), il y a eu substitution ancienne du suffixe -ard d'ori- gine germanique Q-eHard:=Ragmhard, couard =: *codardu,etc.); c'est peut-être aussi le cas pour le mot boulevard, emprunté au xv« siècle sous la forme houlevert du moy. h. ail. hoîwerk.
Remarque III. — On écrit akhi' ou ccht' (afr. esche = ësca) le terme désignant l'appât fixé à l'hameçon, ce qui est en rapport avec les faits signalés au § 35, I.
48. Un cas spécial d'entrave est celui ou e s'est trouvé devant / -f- consonne; de la combinaison de f avec / vocalisé (§ 188), il est résulté en français une tripthongue eait qui est aujourd'hui purement graphique et a la valeur de 0. Ex. : Béllus, beaii; péllis, peau; anëllus, anneau; castèllus, château ; ra.s- tellus, râteau ; *martéllus, marteau ; *ca.ppè\\us, chapeau ; porcèllus, pourceau; spélta, épeautre; Mëldis, Meaux ; *hélmLi (germ. helm), heaume.
Historique. — Nous savons par les témoignages des grammairiens que, dès l'époque latine, / devant une consonne était un / vélaire. Dans la prononciation française, entre ('et ce / il s'est développé de bonne heure un son a d'abord faible, puis qui a attiré l'accent (bellus réduit à bels devient b^als). Un peu plus tard, vers le début du xii'-' siècle, le groupe {-a s'est combiné avec» provenant de la vocalisation de/, §188 (b^als dtivlent beaus). Cette triphtongue, qui était à l'origine accentuée sur l'élé- ment médial (beaus et analogues assonent avec les mots en a simple; s'est réduite à une dipiitongue en moyeu français', quoique certains grammairiens, comme Meigret vers 1542, nous aient encore parlé d'une prononciation beao. A la fin du xvic siècle on faisait entendre d'ordinaire b^o (d'après Baïf), ou bçç
- 65 -
avec un t' faible (d'après Th. de Bèze en 1584): mais la pro- nonciation bç avec 0 simple commençait déjà à s'introduire à la Cour (témoignage de Saint-Liens en 1580), et c'est celle qui a prévalu au xvii^ siècle.
Remarque I. — • Cette transformation importante atteint les nombreux mots terminés par le suffixe -ëlliis (fr. -éaiï). En ancien français castéUiis aboutit à chasteaus, tandis que castëlhi devient chastel : cette dernière forme est encore fréquente en moyen français, mais au xvî^ siècle le singulier de ces mots a été refait uniformément d'après l'ancien régime du pluriel (cf. § ipijhist.). — Il en résulte qu'à une terminaison masculine -eau correspond un féminin -elle dans les adjectifs (fr. nouveau, nouvelle'), et aussi dans certains substantifs comme tonneau, ton- nelle (dérivés de tonne = *tùnna). D'autre part, le mot appeauÇs) ne faisait qu'un à l'origine avec appel (subst. verbal de appeler = appellare), dont il était le cas-sujet singulier ou le régime pluriel.
Remarque H. — Dans certains dialectes, ceux duXord-Est notamment, le groupe eau s'était changé en tau. Cette pronon- ciation n'était pas inconnue à Paris, où le peuple disait au xvie siècle un siau (seau), de Viaue : on en a conservé une trace dans fabliau (pour afr. fahleau) qui est un mot picard réintroduit à la Renaissance par Cl . Fauchet, et dans le verbe dépiauter, récem- ment formé à l'aide de piau (dialectal pour peau). Cf. aussi le cas des mots Jleau, préau (§ 91, 2° II), boyau, joyau (§ 102, II) et tuyau (5 105, 2° II).
c) £ ouvert sous l'influence du yod.
49. Lorsque IV accentué est suivi d'un yod, d'ori- gine latine ou romane, qui peut se combiner avec lui (§ 29), il résulte en français de cette combinaison un /. Ex. : a) Médiu, mi; prétiu, pn'.v ; *cerésia (cl.
— (,(> —
f cerasia), cerise. — /») Déce(m), dix ; séx, six ; léctu, ]i\ \ péctus, pis \ despéctu, dépit \ négat, nit\ légère, lire.
Historique. — Il est facile de comprendre ce qui s'est passé ici théoriquement. Dans des mots comme */«^yH (=: mëdiu), *leytu (= léctu), IV libre s'est diphtongue en u suivant la loi générale (§ 46) ; il en est résulté des formes *nney(u), *lieyt(u), contenant une triphtongue qui, par effacement de l'élément médial, s'est réduite à iy, puis / simple, d'où les mots fr. mi, lit. Ces faits ont eu lieu au nord de la France, avant les premiers monuments littéraires, dans une zone qui comprenait essentiel- lement l'Ile-de-France, l'Orléanais, la Picardie et une partie de la Champagne (la forme est, au contraire, teit sans diphtongaison duc -\- y dans l'Est, et d'autre part *tieyt s'est réduit à lict dans l'Ouest).
Remarque I. — Matière (matèria) est un mot savant, sur lequel semble avoir été formé manière (*manêria), par les sco- lastiques ; entier (afr. e)itir ^= intëgru) est dû à l'analogie. Dans métier {z= *mistëriu, cl. ministërium) et tiioiilii'r(:= *mostëriu, cl. monastérium), le développement de la finale s'est fait aussi sui- vant les principes indiqués à propos du suffixe -flrw (§ 39). Le mot empire (mipènu) serait régulier, si son e final n'attestait un terme d'introduction tardive (cf. à ce sujet § 18, ail). — Le suffixe ordinal de l'afr. -inie ou -isme (oniime d'après undëcimtt) s'est croisé iv^c-esme z=. -êsîmu (dans vicêsïmiis, trtcêsmius') pour pro- duire en moyen français une nouvelle finale -iesme, -ièvie, qui nous est restée dans deuxième, troisième, etc.
Remarque II. — Le développement qui a fait sortir tuile de Ic'gula est obscur : par effacement ancien du g, le mot latin semble être devenu d'abord *të(g)ula, *tëula (où la pénultième atone s'est maintenue à cause de l'hiatus) ; puis on a eu *tieule réduit à tiule (cf. afr. ritile ■= régula), plus tard tuile par trans-
- 67 -
position des deux voyelles. Comparez le verbe suit qui remofite à l'afr. siiit =z sequit (cl. sequitur) ; le mot suif pour siu (= sêbu, § 172, fem.), et la forme dialectale mi pour riu (= rîvu), dont le diminutif est ruisseau (=*rivuscellus).
Remarque III. — Le pronom ëg^o, déjà devenu en lat. vulg. èo, avait abouti en ancien français à des formes qui sont assez diverses suivant les régions, et plus ou moins fortement accen- tuées : 1° éo, d'où ieu, ié, je (gié); 2° eô, d'où io, jo (jou). La forme ;V, atone par proclise devant le verbe, peut provenir d'un affaiblissement de je ou de jo ; elle apparaît dès le xii^ siècle, et c'est la seule qu'ait conservée le français moderne.
50. Lorsque ïe accentué est suivi d'un yod qui se combine avec une autre consonne (groupes /}-, cl ; sur «y, cf. § 53), ou qui se consonnifie derrière une labiale (groupe t'j), il en résulte une entrave d'une nature spéciale, devant laquelle e s'est diphtongue comme s'il était libre (§ 46). Ex. : Mélius, afr. miel:(, inietix ; *véclu (cl. vétulum), vieil ; *léviu, liège.
Remarque. — C'est sans doute d'après cette règle que doit s'expliquer la forme de piège (= *pëdi(c)u, cl. pêdica, cf. § 149, I) et aussi celle des mots tiers, nièce, ^pièce (voir § 47, I) : dans un type comme *pëttia par exemple, il est probable qu'à un moment donné l'*' se sera diphtongue se trouvant en syllabe ouverte par suite d'une prononciation pè-ttya. — La forme de épice (=z spëcie) dénote un mot à demi savant à côté de espèce qui l'est tout à fait.
d) E ouvert suivi d'une nasale.
51. L'e accentué libre, suivi d'une nasale finale (ou devenue finale, soit directement, soit devant
— 68 —
consonne) s'est combiné avec elle pour produire en français yl (écrit 'mi). Ex. : Rém, run ; b.éne, bien ; vénit, vient ; ténet, tient.
Historique. — L'f libre s'est diphtongue à l'origine devant une nasale comme devant les autres consonnes (§ 46), et hène par exemple est passé à *hiene. La nasale devenant finale a ensuite agi sur le second élément de la diphtongue, faiblement d'abord, à ce qu'il semble, car on trouve encore au xiii^ siècle les mots comme hieii assonant avec brief, entier, etc. C'est en moven français que la nasalisation a été complète, sous la forme è et non ii (cf. § 5 2), par suite de la présence d'un t en avant. Toutefois des formes telles que bian, rian ont aussi été long- temps usitées et l'étaient encore parmi le peuple de Paris au xvie et au xviie siècle (cf. la prononciation àt fiente {Jyùt],^ 52, I, et celle des mots d'origine savante comme science [syàs], balience, orient, etc.).
Remarque. — Le possessif mêum accentué (conservant son m final sous l'influence de *nn'(m = nieuni atone, d'où le fr. mon ; cf. ton, son = *tùm, *sûm) semble être devenu en fran- çais mien, par des formes intermédiaires *mieon, *mieen. C'est sur ce type qu'ont été refaits en moyen français tien, sien (afr. tiien, siien ^= *tôm, *som, accentués), et les formes du féminin mienne (afr. moie z:z *mêa), tie)i>ie (afr. teue z= tua), etc.
52. Ve accentué, entravé par nasale + consonne, s'est combiné avec la nasale pour aboutir en français kà (écrit g«). Ex. : Tômpus, afr. tens, temps; véntu, vent ; sentit, sent ; torméntu, tourment ; péndere, pendre.
Remarque I. — Devant l'entrave formée par nasale + consonne, Vf se comporte de la même façon que e. Voir § 61,
- 69 -
hist. — Le lat. vulg. *fëm(i)ta (cl. fîmêtum) aboutit à fiente [/>"'/], d'après le principe signalé au § 47, 2°. Par contre il n'y a pas eu de diphtongaison dans le mot tendre (:= tèneru), ni dans gendre (=: gëneru), tremble (= *trèmulo), peut-être par suite d'un effacement prématuré de l'atone entre nasale et liquide : quant à genre (génère), c'est un mot d'emprunt.
Remarque II. — La flexion des participes en -ante a été étendue de bonne heure à ceux qui se terminaient en -ente : c'est un des traits caractéristiques par lesquels le nord de la Gaule s'est séparé du midi vers le vue ou le viiie siècle. De là en fr. vendant (vendënte), perdant (perdënte), etc. Cf. aussi viande (vivënda), huvande (bibënda), offrande (offerënda), ainsi que la graphie -ance dans confiance (confidëntia)^ croissance, vaillance, etc.
53. Devant un n mouillé par un yod (cf. §§ 50, 51), l'f accentué se diphtongue en ye (écrit ie, ie), suivant la règle de e libre (§ 46), si le son y (écrit gn) s'articule étant suivi d'un e. Ex. : Vénia(m), afr. viegne, vienne ; tënea(m), afr. tiegne, tienne ; Compén- (d)ia, Compiègne.
Remarque. — Toutefois le y avait dégagé un y formant une triphtongue réduite à i (d'après le § 49) dans l'afr. pigne (= pectine), qui était encore connu au xviie siècle et a été rem- placé par peigne sous l'influence du verbe peigner (§ 134, IV). C'est par la même évolution qu'on a eu devant un n devenu final engin (= ingeniu), écrit aussi en afr . engien et prononcé àn\ièyn.
— 70 — E fermé accentué
{ê ET / EN LATIN CLASSIQUE).
a) E fermé libre.
54. L'ç latin, accentué et libre, a abouti générale- ment en français moderne au son complexe wa ou zuâ (écrit oi par tradition). Ex. : Mé, tnoi ; têla, toile ; séru, soir ; habêre, avoir ; sêta, soie ; *préda (cl. praeda), proie ; crëdere, croire ; très, trois ; mê(n)se, mois; té(n)sa, toise; via, voie; pïlu, poil ; pïra, poire; pïper, poivre ; fïde, foi ; pïsu,- pois.
Historique. — Il s'agit ici d'une évolution assez compli- quée, et dont les phases ont été multiples. Il convient de l'exa- miner dans son ensemble, et en tenant compte de ce qu'à un moment donné le oi issu de e libre a été rejoint par oi provenant de e ^ y (S S7)> de c + j (§ 75), et de au -j- y ($ 84).
a) Tandis que dans le sud de la Gaule Ve libre accentué res- tait intact (il l'est encore dans le provençal moderne mé, télo, péro, etc.), dans tout le nord — au-dessus d'une ligne qui passe approximativement par Angoulême, Nontron, Limoges, Gué- ret, Riom, Brioude, Romans, Briançon — il s'est, vers la fin du viiie siècle, diphtongue en ei {vie est devenu nm, etc.). Au point de vue théorique, cette première altération provient d'un allon- gement et d'un dédoublement de la voyelle : me devient *mee, qui lui-même par dissimilation des deux éléments passe à *mei. En Normandie et dans les provinces de l'Ouest, la diphtongue s'est arrêtée à cette étape. Dans celles du Centre et de l'Est, au contraire, par une nouvelle évolution qui semble avoir été ache- vée vers le milieu du xii* siècle, ei (par des étapes ej et œi') est devenu oi prononcé en ancien français (dans moi, toile, poire.
— 71 -
etc.) comme la diphtongue grecque o<., ou celle du mot anglais hoy. Toutefois dans l'Ile-de-France cette diphtongue oi, vers la fin du xiii^ siècle, passa à oe, puis oe (luo^, toele, poçre, etc.). Dès le xve siècle apparaît à Paris, au lieu de oe (par progression ive), une prononciation oa, lua, qui semble avoir commencé dans les mots où l'on avait oe -{- r (cf. § 47, II) : Villon rime poire avec barre. Cette prononciation, qui provient d'une paresse à élever la pointe de la langue au-dessus de la position du w, était d'ori- gine essentiellement populaire ; elle a été signalée et combattue par les grammairiens du xvie siècle (Henri Estienne, Th. de Bèze, etc.). A l'époque classique elle était encore tenue pour très vulgaire (la prononciation oe, tue était seule officielle), mais Hindret constate cependant dès 1687 qu'il y a beaucoup d'honnêtes gens « à la Cour aussi bien qu'à Paris qui disent du bouas, des nouas, trouas, mouas, des poiias, voiiar ». En 1709, Boindin cherche à établir des catégories entre les mots (vois, toit, roi, loi, fois, voix, joie avec we, mais bois, mois, noix, poids avec wa). La prononciation nouvelle faisait évidemment de grands progrès même parmi les classes instruites, et à partir du xviiie siècle les grammairiens l'ont combattue plus mollement : Fèraud en 1760 admet oa sans restriction ; Domergue en 1787, Douillette en 1788, s'efforcent cependant de maintenir des caté- gories, et ce dernier admet oua [wa] dans toute une série de mots comme gloire, croire, avoir, vouloir, trois, mois, bois, etc., mais maintient oiiè \w(\ dans boire, mémoire, lavoir, couloir, vois, et quelques autres. Il y avait là des distinctions arbitraires qui devaient s'effacer à la suite de la Révolution. Depuis le xixe siècle, une prononciation que nous notons d'ordinaire wa (dans mwa, Iwal, pwar, etc.), mais qui en réalité oscille suivant les cas entre wa et wd (toujours wâ après r), peut donc être con- sidérée comme la prononciation normale du français : quelques provinces du Centre et de l'Est ont seules conservé partiellement et par archaïsme l'usage de w^.
b) D'autre part, dès le moyen âge, au moment où l'ancienne diphtongue oi devenait oç, icq, il s'était manifesté dans la pro-
— 72 —
nonciation une divergence importante, et qui devait avoir sa répercussion sur la forme de beaucoup de mots français. Aux environs de 1300, le peuple de Paris avait une tendance à réduire zuc à ç simple, surtout après consonne -\- r (on trouve déjà dans certains manuscrits de cette époque drete pour droite, cresire pour croistre, et aussi saie pour soie, pourraient, etc.). Ce n'est qu'au xvie siècle cependant qu'apparaît avec régularité dans certaines classes de mots, au lieu de w^, l'f simple (ne pouvant plus par conséquent devenir iva). La langue moderne l'a défini- tivement adopté et écrit ai au lieu de' oi (orthographe proposée par Berain dès 1675, puis par Voltaire, admise par l'Académie seulement en 1835): 1° dans les terminaisons de l'imparfait et du conditionnel, portait, porterait, etc. ; 2° dans certains noms de peuples, Français, Anglais, Polonais, etc. (cf. Danois, Sué- dois, Chinois') ; 30 dans une série de mots comme tnonnaie (afr. monoie = monèta), craie (afr. croie = crêta), taie (afr. toie =: thêca), claie (afr. cloie = celt. *clêta), raie (afr. roie =z *riga), dais (afr. dois ^=z dïscu), harnais (afr. harnais =z *harnïscu), marais (afr. marais = marïscu), faible (afr. floihle = flê- bile), raide (afr. roide =r rigida), frais (afr. frais = *friscu, germ. frisk), épais (afr. espois, pour espes = spïssu), paraître (afr. paroistre := parêscere ; cf. connaître, afr. conoistre := *conos- cere), effraie (afr. esfroie =: *ex-frïdat, germ. fridu ; cf. le subst. effroi), et enfin dans la terminaison -aie (afr. -oie = -êta) de aunaie, chênaie, saussaie, etc. Il faut encore ajouter que rets est une graphie arbitraire pour "rais (afr. roii = rêtes), et qu'il en est de même de verre (afr. voirre = vïtru) et tonnerre (afr. tonoirre = tonïtru). Il y a eu d'ailleurs certaines hésitations relatives aux mots où wç se réduisait à ç : au XYii* siècle, Voi- ture rime froide avec laide ; à la cour de Louis XIV, on disait quelquefois atrei (étroit), et très ordinairement encore crère, critre (croire, croître).
Remarque I. — Par confusion avec deux autres mots de forme similaire, mais d'origine et de sens très distinct {poêle
« dais » et poêle à frire, cf. § 58, IV et § 88, V), on écrit ordi- nairement aussi poêle pour poil c (afr. poisle = pênsile) le terme qui désigne un fourneau de chauffage. — Le mot genièvre pro- vient par cliangement de terminaison de l'afr. genoivre (= *jenî- peru) ; chandelle de l'afr. chandoile (=1 candêla). De même l'ad- jectif cruel (crudêle) semble avoir subi l'influence du suffixe -el (= -«^^, § 35> II). Quant à livre (librum), sa voyelle trahit un emprunt savant.
Remarque II. — Certaines formes verbales, comme l'afr. poise (= pë(n)sat), espoire.(= spërat), ont subi des actions ana- logiques, et sont devenues dans la langue moderne pèse, espère, mais après être passées par une étape p^se, espère (d'après peser, espérer pour espérer). Cf. § 46, II.
Remarque III. — Les verbes latins terminés en -ère ont abouti naturellement à -oir (debêre, devoir) : mais dès l'époque latine, il y avait eu des échanges entre les infinitifs en -ëre et ceux en -ère. C'est ainsi qu'on a eu en français foudre (z: ton- dëre, cl. tondêre), mordre (= *mordëre, cl. mordêre), rire (=:ridëre, cl. ridére), répondre (= respondére, cl. respondcre), etc. ; d'autre part savoir (= *sapère, cl. sapëre), choir, afr. chëoir (= *cadêre, cl. cadère), pleuvoir (= *plovère, cl. pluêre), etc. (de plus des infinitifs afr. reçoivre =. recipère, deçoivre == decipëre, ont été remplacés de bonne heure analogiquement par recevoir, décevoir). Dans la langue parlée en Gaule, la flexion -ire s'était aussi parfois substituée à -ère : de là tenir (= *tenîre, cl. tenêre), emplir {— *implïre, cl. implêre), pourrir (=: *putrlre, cl. putrère), jouir (= *gaudire, cl. gaudère), repentir (= *repoenitîre, cl. poenitére), etc. Sur pris venant de* prë(u)si, cf. § 55, II.
Remarque IV. — Les 2^5 pers. pi. en -rç (deve:( pour *deveii =z debêtis ; vende^ pour *vendeii = *vendêtis, cl. vendï- tis) datent en français du xiie siècle, et sont dues à l'analogie des formes régulières de la fe conjugaison comme chantei (=: cantatis). Quant aux flexions latines en -ilis, le souvenir
— 74 —
n'en subsiste que d^ns faites (= facitis), dites (-. dlotis) et êtes (— *essïtis, cl. estis).
Remarque V — Les formes pronominales me, te, se (= me ;ê se) à côté de moi, toi, soi, s'expliquent par leur emploi procUti'que (d'après le § 92) : H en est de même du relatif que 1= quïd) à côté de quoi (cf. que = quém), et de la préposition de (== dé). Voir le § 8.
b) E fermé entravé.
55. LV latin accentué, devant une entrave d'ori- aine latine ou romane, est devenu e en français. Ex. : l) Virga, verge; ïlla, elle; cïppu, cep-; lïttera, lettre; mittere, mettre ; missa, w^55^ ; crïsta, crête ; arista, ar^/^ ; capistru, chevétre; sïccu, i... - /') DébCi)ta, dette; nït(i)da, nette ; vïr(i)de, vert.
Historique - Les assonances des plus anciens poèmes français prouvent que 1'. entravé avait d'abord conservé sa valeur originelle. C'est seulement vers le milieu du xiie siècle qu il s'e^t ouvert, et qu'on voit groupés ensemble des mots comme pert (= perdit) et vert, bec (= bëccu) et sec, etc. La distinction n'a persistéque dialectalement à l'Est (en Lorraine et en Bour- gogne).
Remarque I . - Un des cas importants où se_ présente un e originairement entravé est celui du suffixe diminutif -.^ -ette Cette terminaison répond au lat. vulg. -îttu, -Itta, qm est de p'rovenance incertaine, et se trouve sur des inscriptions de l'époque impériale, appliquée surtout à des noms de femme comme Julitta, Suavitta (les noms masculins comme Attrttns étant plus rares). On s'en est sans doute servi ensuite, en Gaule et ailleurs, pour des noms d'animaux (*capritta, chevrette ;
— 75 —
*mulïttu, mulet), puis pour des objets inanimés (*herbitta, Ijcr- hette) : de là le suffixe fr. -et, -ette dans poulet, jardinet, maison- nette, tablette, etc. (dont -ot dans ilôt, ballot, pelote, paraît être une forme à variation vocalique). La finale masculine -et a du reste aujourd'hui uu son intermédiaire entre e et e, nettement fermé dans certaines régions (ainsi le long de la Loire, et parfois à Paris).
Remarque II. — Dans le Nord de la Gaule, à une époque très ancienne (antérieure en tout cas au viiie siècle), Ve accen- tué entravé, qui se trouvait suivi d'un / final (tombé ensuite), avait subi son influence et était passé lui-même à 1. Cette infle.xion, due en principe à une élévation anticipée de la langue qui prend par avance la position de /, ne s'est d'ailleurs produite que dans certaines catégories de mots. C'est ainsi que le pronom masc. // remonte à une forme *llli (lat. vulg. *ïllt, cl. ïlle) ; comparez le fém. elle (= illa). De même le nom de nombre vingt, afr. vint, remonte à *vlnti (lat. vulg. *vinti, cl. vigînti) ; comparez l'italien l'euti. La terminaison -îsti était devenue *-îsti à la 2= pers. sg. du parfait : vis, afr. veïs (= *vidîsti, cl. vidïsti). Le même fait s'observe du reste dans le radical de quelques parfaits où l't' était libre, parfois suivi d'une gutturale ou d'une nasale : pris ' (^ *prîsi, *prê(n)si, cl. prehendi), ^5 (^ *fîci, cl. fêci), vins, afr. vin(z= *vmi, cl. véni). Le participe ^/-/j (— - *prësu) a subi l'in- fluence du parfait, de même que le participe mis celle de mïsi {cf. mets = mïssu, messe = mïssa). Enfin l'adverbe de lieu v, atr. /(cf. § 172, rem.), laisse supposer que ïbi était passé à *lbi (mais il pourrait aussi représenter hic).
Remarque III. — La forme démonstrative cest = ecce -ïstu (cf. les cas-sujets de l'afr. cist =z *ecce-ïsti, cil ^ *ecce-îlli) est devenue par aff'aiblissement, dés le moyen âge, ce devant une initiale consonantique : on a dit ce père, à côté de cest enfant (plus tard ffi enfant). — Dans Jlêb(^i)le (afr. floible, foihle, jaible, \, 54, hist. b, et § 185, I), le groupe bl n'a pas fait entrave. Stella,
- 76 -
devenu dans le latin vulgaire des Gaules *st-ela (cf. § iS6, hist.),- donne en fr. étoile d'après le § 54- Les mots aisselle et mamelle proviennent de *axélla, *mamèlla (pour axilla, mamilla) par changement ancien de suffixe. - L'orthographe par ei dans seiie, pour afr. seie {= sêdecim), est arbitraire ; cf. treiie (= trèdecim). Quant aux formes vierge et aussi cierge, elles sont pour afr. virae (vîrgine), d;-e (céreu), mots d'introduction savante et liturgique, où s'est produit vers le xiiF siècle un changement inexpliqué de / en ie devant r + consonne.
Remarque IV. - Un ancien e entravé s'est arrondi en œ entre deux consonnes labiales dans veuve, afr. vei'e {= vidua) ; cf à l'initiale breuvage pour afr. hevrage (§ 178, ID. En moyen français, sous des influences dialectales venues de Normandie et de rbuest, la même tendance se manifestait pour 1'^ issu de a libre accentué dans des mots comme/à'., Uvre, prononcés >Mt'e, leuvre.
56. L'? accentué, qui s'est trouvé entravé par / + consonne, aboutit en français à ce (écrit eu). Ex. : Capïllos, cheveux; illos, eux; Tiltru (germ. *feltar), feutre.
■ Historique. — Lors de la vocalisation de / (§ 188), Ve a subi dans ces mots une influence labiale qui l'a fait passer à tr. La série théorique des transformations de lUos, par exemple, paraît avoir été : els, ens, œivs, ces, œ.
Remarque. - Le mot yeuse {=*\\\ct, cl. îlicem) est em- prunté au Midi (provençal ejr.e). La forme de lasoche pour -haseuche (= basilica) est dialectale, ou a subi quelque influence obscure (cf. les formes de l'afr. /autre et fotre, à côté de feutre).
I
//
c) E fermé sous l'influence du yod.
V' Cas : E + y.
57. Lorsque Ve accentué est suivi d'un yod d'ori- gine latine ou romane qui peut se combiner avec lui (§ 29), il résulte en français de cette combinaison une diphtongue ei devenue ensuite oi, et finalement lua (écrit oi par tradition, cf. § 54). Ex. : a) Féria, foire; celt. cervisia, cervoise. — b^ Rêge, roi ; lége, loi; Lïgere, Loire; plicat, ploie; téctu, toit; strïctu, étroit ; créscere, croître ; pïce, poix.
Historique . — On doit admettre que dans un mot comme rêi'e, devenu de bonne heure *reye (§ 118, hist.), la diphtongue ei est antérieure à celle qui s'est produite pour e libre (jnei = mê, etc.) ; mais elle s'est naturellement confondue avec l'autre et •en a subi toutes les transformations ultérieures ( cf. § 54, hist.)
Remarque I. — Le mot vervëcem était devenu en lat. vulg. *berhlce, d'où le fr. brebis. Le participe dit remonte à *dictii (cl. dictum) qui s'était produit sous l'influence de dlccre; cf. l'adjectif benoît, afr. beneoit (d'abord benëeit =: benedïctu), dont benêt est la forme normande introduite au xvie siècle. D'autre part l'afr. coilloitc (= collecta) est devenu plus tard cueillette par changement de suffixe (cf. la forme d'emprunt collecte).
Remarque II. — Les formes comparatives pcjor, pêjus, ont donné en fr. pire, pis, parce qu'elles étaient en réalité dans la prononciation du lat. vulg. *pëjjor, *pcjjus. D'après une tendance de ïe à s'ouvrir devant labiale (cf. *fëniita, § 52, I, et la forme
- 78 -
de l'afr. fiehle ^ *flëbile), au lieu de ëbriiim on avait aussi *ébrm, qui aboutit à ivre (d'après le 5 49)- — Le mot ecclêsia avait pris- la forme *eclèsia qui est attestée, d'où le fr. église ; quant à *tapê- tiu, devenu tapis, son i semble résulter du son qu'avait pris en bas-grec I'y] dans Ta::r|Ttov (cf. encore boutique, altération de apo- thêca, gr. àxoÔTÎzri). La transformation de ces mots n'est point d'ailleurs entièrement populaire.
Re]Ild,rque III. — ■ La forme de envie, pour l'afr. enveir (^ invïdia), provient d'une réaction savante. Les formes ver- bales lie (lïgat), plie (plîcat ; cf. ploie'), sont dues à l'analogie d'autres formes régulières comme prie (=. prëcat), § 49.
58. Lorsque Ye accentué est suivi d'un yod, qui se combine avec une autre consonne pour produire une entrave (§ 30), cet ç passe en français à e d'après la loi générale du § 55. Il y a deux cas principaux à no- ter :
1° Le premier cas est celui où un yod d'origine latine ou romane s'est combiné avec / pour le mouil- ler. Ex. : Consiliu, conseil; vïg(i)lat, veille; *pari- c(u)lu, pareil ; somnïc(u)lu, sommeil ; auric(u)la, oreille; corbic(u)la, corbeille; trïc(hi)la, treille.
Remarque I. — Le mot cïlium. (où 1'^ est précédé d'une gutturale, cf. § 59) doit avoir été déjà en lat. vulg. *clliu, d'où le fr. cil. Par leur forme même, exil (exiliu) et famille (famïlia) se dénoncent comme des mots d'emprunt.
B.enia,rque II. — C'est par substitution du suffixe -Icula à -Icula que des.mots comme lenticula, vitïcula, sont devenus en fr. lentille et vrille (§ 64). Inversement cortieille remonte à une forme vulgaire *cornïcula qui avait remplacé cornlciila (dimin. de
J
cortilcfiii'). Dans ouailïe pour afr. ocille (==. ovïcula) il y a eu, vers la fin du moyeu âge, introduction du suffixe -aille (-acula, -alla, § 40). Quant à cornouille pour un plus ancien corneille (venant de corn'icula dimin. de cornu), il doit avoir été importé des régions de l'Est où -eil passe à -oil.
2° Le second cas est celui du suffixe -ttia, repré- senté en français par -esse (afr. -ece) dans un certain nombre de mots. Ex. : Mollïtia, mollesse; pigritia, paresse; laetïtia, liesse; *largïtia, largesse; *proditia, prouesse.
Remarque. — Cette transformation n'est pas phonéti- quement régulière, puisqu'en principe le groupe ty ne fait pas entrave (§ 147, 2°) : la finale attendue serait -oise, qui se ren- contre en eff"et quelquefois en ancien français, notamment dans richoise, prooise (= *prodïtia). La production de -ece {-esse) doit sans doute s'expliquer par une substitution de *-ïcia à -Uia (sur le groupe cy, cf. § 1 19, 10), et d'autre part la terminaison -ise fré- quente en français (dans sottise, couardise, franchise, etc.) laisse sup- poser que -Itia avait été aussi partiellement supplanté par *-ttia (peut-être sous l'influence des participes féminins en -Ita). Quant à la terminaison -ice, dans les mots féminins comme ai'arice (ava- rïtia), malice (malïtia), justice (justïtia), ou dans les masculins comme vice (vïtium), service (servïtium), elle est d'origine pure- ment savante. — Il faut noter aussi qu'il existe un autre suffixe -esse (dans abhesse, prêtresse, chasseresse, etc.), qui remonte à -ïssa emprunté au grec par le latin vulgaire.
2" Cas : y 4- E.
59. Lorsque Ye accentué libre est précédé d'une gut- turale dégageant un yod, cet e devient /' en français.
— 8o —
Ex. : Cëra, cire; cêpa, cive; mercêde, merci; licêre, loisir ; placêre, plaisir ; pagé(n)se, pays.
Historique. — Le changement de e libre en i derrière un c est spécial au nord de la Gaule. Il paraît s'être opéré sans diphtongaison intermédiaire, la voyelle s'étant fermée davan- tage pendant l'évolution de c en k, ty, ts (§§ 114, 117), et est assuré pour le vii^ siècle au moins par des graphies comme nier- cidem, cido (-1:: cêdo), etc., qu'on relève dans les documents mérovingiens de cette époque. Dans les mots du type de pagë(n)se, la fermeture de e en / s'est également produite sous l'influence de l'élément palatal qui précédait.
Remarque I. — Le mot paroi remonte à la forme vul- gaire *parlte (cl. pariëtem) ; coi vient de *qiiêlii (cl. quiêtum), cf. § 4, IIL Sur raisin, poussin, voir § 60, IIL
Remarque II. — Les mots bourgeois =: *burgê(n)se, f?an- çois =r francïscu (plus tard français, § 54, hist., b), ont subi dans leur terminaison l'influence des mots comme courtois = *cortê(n)se. Cf. au contraire marquis, afr. marchis, dérivé régu- lièrement de marche (= germ. marka) à l'aide du suffixe -ë(n)se.
Remarque III. — Dans les formes verbales disais (afr. diseie, disoic = *dicëa) et faisais (afr. faiseie, faisoie = *facêa), la terminaison a été soustraite à l'influence du yod pour rester conforme à celle des autres imparfaits. Recïpit aboutit pour des raisons analogues à reçoit (afr. receii), et cëlat à cèle (afr. ceUe, çoile) ; sollicitât était déjà en lat. vulg. *solIicltat, d'où le fr. soucie.
d) E fermé suivi d'une nasale.
60. L't' accentué et libre devant une nasale :
1° Devient en français e (écrit ei), si la consonne a
— 8r —
conservé son articulation étant suivie d'un ancien e sourd. Ex. : Pléna, pleine; *pêna (cl. poena), peine; vêna, veine ; *vervêna, verveine.
2° Aboutit à la voyelle nasale è (écrite ei)i, eim) en se combinant avec la consonne, si celle-ci est deve- nue nnale. Ex. : Plênu, plein ; frênu, frein ; rêne, ;Y///;sinu, sein; Remis, Reims.
Historique. — Dans le Nord de la France, IV libre s'est d'abord diphtongue en ei devant un « comme devant toute autre consonne (§ 54, hist., a). Mais l'action de la nasale s'est fait sentir sur cette diphtongue, avant qu'elle passât à oi : il en est résulté une diphtongue nasale, et au moyen âge plein, pleine, se prononçaient plèyn, pîèyng (assonant dès le xii^ siècle avec les mots en -ain, -aine, § 43). Dans la période du moyen fran- çais, par une évolution qui ne semble avoir été achevée qu'au début du xviie siècle, le groupe èyn s'est réduit à ê ; tandis que dans le groupe èyiic, par dénasalisation, îy se réduisait à e devant un n toujours nettement articulé.
Remarque I. — Dans les dialectes de l'Est, en Lorraine et en Bourgogne, l'évolution de ei en oi avait également eu lieu devant les nasales (de là des (ormes ploin , poine , etc.). C'est peut- être de ces régions que vinrent, vers le xvie siècle, les formes- foin (afr. fein = fênu) et avoine pour aveine (=: avêna) dont se servait encore Racine. Mais on pourrait d'ailleurs admettre que, derrière une consonne labiale, il se soit produit à Paris même une liésitation entre les sons èyn et %vèyn "(cf. l'alternance de e avec we, § 54, hist., h), et cette explication doit certainement s'appliquer à moins (afr. nieins = mïnus) ainsi qu'à moindre (afr. tneindre = minor), qui ne sauraient être des formes dialectales. Au milieu du xviie siècle, d'après le témoignage de Vaugelas, beaucoup, de gens disaient encore « mains pour dire moins >>.
- 82 —
Remarque II. — L'orthographe étrenne (afr. estreine ::= strêna) est moderne : il en est de même de arène (afr. areine = arêna), et cène (cêna) est un mot savant. Quant à la forme verbale iiiè)ie (afr. tiieine = mïnat), elle a passé par une étape iiiçiie (d'après mener, cf. § 54, II).
Remarque III. — Les mots raûmu, pulUcênu, étaient déjà par substitution de suffixes en lat. vulg. *racîmu, *pullictnii, d'où le fr. raisin, poussin (cf. le provençal n7:5;îm, VitaWen pulcino, etc.). Le mot venin remonte de même à *venlnu (cl. venênum), ou peut-être à un tj'pe *ven~imen. Enfin dans *percavûiiii (fr. parche- min) pour pergamënu (gr. TrspYaarivo;), 1'/ résulte du son qu'avait pris V-f\ dans le bas-grec byzantin (cf. § 57, II).
Remarque IV. — Dans les irespers. pi. comme habënms y ilehcmus, la flexion -émus (qui aurait abouti à *-eins') a été de très bonne heure remplacée analogiquement par -o»i(=:-ùmus), d'où le fr. avons, devons (cf. §§43, I et 6%, I).
61. LV accentué, lorsqu'il est entravé par nasale -j- consonne, se combine avec la nasale pour aboutir en français à à (écrit en, eni). Ex. : Vêndere, vendre \ vêndita, vente; prêndere, prendre ; fïndere, fendre; subindc, souvent; *trïnta (cl. triginta), trente; sïm(u)- lat, semble ; cin(e)re, cendre.
Historique. — Ue devant nasale + consonne (dont ne se distingue pas dans ce cas V(, celui de vëntu, pëndere, etc., cf. § 52) a été nasalisé de bonne heure. Jusqu'au milieu du xie siècle il avait le son è (conservé plus longtemps en Norman- die et dans l'Ouest, jusqu'à nos jours dans les patois picards et wallons) : vers cette époque è s'est confondu avec à dans l'Ile- de-France, et l'on a prononcé vàndre, sànible, etc., formes où la nasale n'a complètement cessé de s'articuler que pendant la période moyenne de la langue (5§ 44, 195).
-83 -
Remarque I. — Lorsque, dans certains cas, la dénasalisa- tion de à s'est produite (par suite de la simplification d'une nasale double, § 195, I), il en est résulté le son a correspondant à un ancien e latin : ainsi Jcnwic (= fêmïna), après avoir été pro- noncé en afr. fàmc, est devenu faui dans notre prononciation actuelle; cf. couenne (= *cutïnna) qui sonne kivan. C'est ce qui est arrivé également dans le mot hannc (= bênna), et pour e dans les mots panne (zz= pënna), vanne (-= celt. *vènna) : mais l'orthographe s'est ici réglée sur la nouvelle prononciation. Cf. encore en syllabe atone le cas de la terminaison adverbiale -einment (dans ardemment , prudemment, etc.) qui sonne aujour- d'hui amà, et le mot archaïque nenni (afr. nenil = *non-illi) qui se prononce nani.
Remarque II. — De l'identité de son qu'avaient les groupes en et an, il est résulté dès le moyen âge une grande hésitation dans leur orthographe respective. Le français mo- derne écrit encore a pour e, contrairement à l'étymologie, les mots suivants : Sans(= sïne), dans (=: de-ïntus), céans {= e.ccQ- hac-ïntus), léans (=; illac-ïntus), néant (= *ne-gënte), langue (= lïngua), sûiigle (= cïngula), cran (== *crennu, cl. crêna), tanche (= tinca), dimanche (die-domïnica), frange (= *frïmbia), vendange (= vindêmia), panse (^= pensât), tance (= *tëntiat), revanche (= revïndicat). Cf. aussi les mots d'origine germanique hande (afr. bende), rang (afr. rend), brelan (afr. berlenc), éperlan (afr. esperlenc) et chambellan (afr. chaniberlenc), qui remontent à binda, hring, bretling, spierling, kamarling ; de plus la graphie- courante déclancher à côté de clenche, (ail. klinke). — Dans les noms de nombre marquant les dizaines, comme quadraginla, qidnquaginta , la finale -agînta était déjà devenue par réduction en lat. vulg. -anta, d'où le fr. quarante, cinquante, etc.
62. Devant n mouillé par un yod, Vç accentué ; 1° Passe à f en français, si le n (écrit ign) conserve
— 8
son articulation étant suivi d'un ('. Ex. : Tïnea, teigne; insignia, enseigne ; dïgnat, afr. deigne, daigne.
2° Se combine avec y, devenu final ou suivi d'une consonne, pour aboutir à e (écrit eiii). Ex. -.à) Sïgnu, afr. sein, seing. — /;) Fïng(e)re, feindre; cïng(e)re, ceindre; pïng(e)re, peindri; *exstïng(e)re (cl. exstïn- guere), éteindre ; incïncta, enceinte.
Historique. — Les mots tels que teigne (prononcé en afr. tèyut;) se sont à peu près comportés comme ceux où e était devant ti -\~ voyelle ; les mots tels que seing, Jeindre (prononcés en afr. sèyn, jcyndrç) comme ceux où e était devant n devenu final (cf. S 60).
Remarque. — L'orthographe moderne a remplacé ei par ai dans daigne et aine (afr. eigne = inguina, ^ 134, I); ein par ain dans contraindre (= constrïngere) et dans vaincre (afr. veintre = vincere, § 197, II).
I accentué
(/ EN LATIN classique).
a) I libre ou entravé.
63. L'/ latin accentué, libre ou entravé, reste in- tact en français. Ex. : a) Venïre, venir ; ira, ire ; *offe- rîre (cl. offerre), ojfrir ; fîlu, fil ; vita, vie ; nïdu, nid ; rîsu, ris; germ. *\vïsa, guise ; ripa, rive; libra, livrer vivu, vif. — b) Mille, mil ; villa, ville ; argîlla, argile; i(n)s(u)la, île; scriptu, écrit.
- 85 -
Remarque I. — Le cas de l'y accentué qui reste intact, est à noter pour les infinitifs latins en -Ire, d'où le fr. -ir (partîre, par- tir), et pour les participes en -Itu, -lia, d'où le fr. -/, -ie (par- tïtu, parti ; partîta, partie) : parmi ces verbes (cf. § 54, III) sont venus se ranger les verbes germaniques en -jan passés générale- ment à -Ire (fourbir = furbjan, Imir = hatjan, honnir r= haun. jan, etc.). Il existe également dans le suffixe -Ivu, -Iva, qui s'est prolongé en français sous la forme -if, -/iv (dans maladif, pensif, inventif, etc.). La forme vulgaire *pia (pour lat. cl. pta, § 4) est représentée en français par ladj. (ém.pie (d'où a été dérivé au xvie siècle le mot pieux). De plus, conformément à la remarque III du § 4, on avait un 7 accentué dans la terminaison gréco-latine -'ta substituée de bonne heure à -ta dans phantasïa et autres : de là notre suffixe -ie (celui dé folie, maladie, Normandie), qui pen- dant la période du moyen français s'est allongé en -erie (dans dnerie, coquetterie, tirés de dne et coquet par analogie avec cheva- lerie venant de chevalier).
Remarque II. — Le mox. gllrem, devenu dans le latin vul- gaire de la Gaule *ig)lire, aboutit à loir d'après le § 54 (mais cf. . liron ^ *glîrône) ; de même le celt. glïtem, par un dérivé *glitea,. avait donné en afr. gloise (d'après le § 57), plus tard glaise, § 54,, hist., b. Sur lliccm devenu *îlice, cf. 5 56, rem.
Remarque III. — Les a^spers. pi. comme dormei,servei, pour *dorviii, *servi:^ (^ dormïtis, servïtis), sont dues à l'analo- gie de chante:^ (= cantatis). Cf. § 54, IV. — L'infinitif fouir remonte à une forme vulgaire */o(i7ré (cl. fodère). L'ancien verbe toussir (r= tussîre) est devenu tousser, vers la fin du xvi^ siècle, par changement de conjugaison ; mais, à l'époque classique, on hésitait encore entre /'inV(=*putire, cl. putêre) el puer qui a fini par l'emporter.
Remarque IV. — Dans essieu qui est un singulier refait sur le pluriel et qui était en afr. aissieus (^ *axrlis), aissil (= *axîle), le groupe il -f consonne a subi à la finale un développe^.
— 86 —
ment en iu, ieii, sans doute dialectal et qui pourrait être origi- naire du sud de la Picardie (cf. celui du mot pieu, § 37, II). Sur le cas des mots comme l'afr. traître, devenu en fr. mod. traître [/;-f/r], etc., cf. § 91 3°.
jb) I sous l'influence du yod.
64. L'/' accentué suivi d'un yod reste intact, qu'il y ait combinaison ou production d'une entrave (§§ 29, 30). Ex. : a) Suspïriu, soupir; Parisiis, P^rw ; mïca, niic ; amîcu, ami; sic, si; dicere, dire; frïgere, frire; celt. *lîga, lie; *sorîce(cl. sorïcem), souris. — h) Filia, fille; peric(u)lu, péril; canic(u)la, chenille; *pastîciu, pâtis ; lîcia, lice; salsîcia, saucisse; tibia, tige.
• Remarque I. — Le y, lorsqu'il s'est combiné avec i, n'a pu que renforcer le son primitif. Un mot comme nûca est devenu successivement *inîga, *mtya, et *nnye qui s'est réduit à mie. — La finale inchoative -Isco de *finlsco, etc. (qui était dans ce cas conformément au _" i 36, II) a abouti au fr. -is .
Remarque II. — L'adjectif///;' ùf«?« devenu *frigidu (sous l'influence de rlgidtim) aboutit àjroid. Cf. 5 54, hist., b. L'afr. voleïtle (= volatïlia) est devenu d'assez bonne heure votaiîte, sous l'influence du suffixe -aille (=. -alïa, § 35, II).»— Il ne faut pas confondre la particule d'intensité si (= sic) avec la conjonction hypothétique si. Cette dernière était régulièrement en afr. se, Vi du latin sï .s'étant abrégé dans des combinaisons comme sî quis, si qitÛevi, où il se trouvait atonc(cf. % 92 et 98); mais en moyen français la forme étymologique a été rétablie.
^^7 -
c) I suivi d'une nasale.
65. Vi accentué devant une nasale est soumis en français à deux traitements distincts :
1° L'/ qui était libre reste intact^ si la nasale con- serve son articulation devant un ancien ê sourd. Ex. : Lïma, lime; spina, épine; tîna, tine; vicïna, voisine; ïârlns., farine ; *narïna, narine.
2° Vi qui était libre devant une nasale devenue finale, ou entravé par nasale -\~ consonne, aboutit à è (écrit hï). Ex. -.a) Vïnu, vin ; linu, lin ; pïnu, pin ; crîne, crin; fine, fin; pistrînu, pétrin; *cosinu (cl. consobrînum), cousin. — h) *Cïnque (cl. quinque), cinq; *vinti (cl. vigïnti), vingt; principe, prince; sî- miu, singe.
Historique. — Au moyen âge, les mots comme vin,- fin, dssonent avec ceux comme fit, venir, etc., ce qui prouve que la nasale finale n'avait encore agi que faiblement sur 1';' qui est une voyelle « haute » (cf. Introduction, II, 1 3 e). C'est au xvie siècle seulement que cette action est devenue intense : mais en se nasalisant Vi paraît avoir été ramené à f, d'où le son ?, et Tabourot en 1588 distingue à la rime in de ain, ein, distinction reproduite par les grammairiens jusque vers 1680. Toutefois Bèze déjà ne la faisait pas, et il semble bien que cet ç était descendu- jusqu'à S (dans vc, fe) dès le début du xviie siècle. Comme ces faits se sont produits seulement à l'époque où toute voyelle avait une tendance à se dénasaliser devant une nasale non finale, les mots tels que épine, farine, n'ont pas été sensi- blement atteints et ont conservé la prononciation qu'ils ont encore. C'est seulement dans le peuple de Paris au xvii*^ siècle.
— 88 —
et de nos jours dans certains patois, qu'on trouve des formes éphie, farhie (provenant d'une dénasalisation de epèn§, fcirèn^) . Q.uant à carciic, il est emprunté de l'italien caréna (lat. carîna).
Remarque I. — Il s'est produit quelques échanges entre les suffixes -Inii, -liui, (fr. -/;;, -ine) et -anu, -ana (fr. -ain, -aine, § 43). C'est ainsi que dés le latin vulgaire pulltnu était devenu '"piillanu (d'où le fr. poulain'), et que plus tard l'afr. parrin (= patrînu) etntarrine (=: *matrîna) sont passés à parrain, mar- raine ; cf. encore la graphie noiirrain pour àfr. nourrin (= nu- trïme). Sur le changement inverse auquel est dû aveline, voir §43, I. — Dans les i''^^ pers. pi. comme scntlnnis, dormlmus, la flexion -Inms (qui aurait abouti à *-ins) a été de bonne heure remplacée analogiquement par -ons (= -ùmus), d'où le fr. sen- tons, dormons (cf. §§43, I et 60, IV).
Remarque II. ^ Devant un n mouillé final, comme devant un n ordinaire, / par combinaison aboutit à è (écrit in). Ex. : Scrîniu, écrin ; *Iatrocîniu (cl. latrocïnium), larcin. Il reste intact, si le n, écrit gn. s'articule. Ex. : Vïnea, vigne ; lînea, ligne. — Les mots bénin (benignum) et malin (malignum) sont des mots d'emprunt.
O ouvert accentué
(d EN LATIN CLASSiaUE).
a) 0 ouvert libre.
66. L'p latin, accentué et libre, aboutit en français à ce (écrit eu, œii), qui est œ devant une consonne qui s'articule, et ce devant une consonne finale muette. Ex. : a) Cor, cœur ; sôror, sœtir ; *môrit, tneurt ;
- 89 -
môla, meiih ; gladiôlu, glaïeul ; liliôlu, filleul ; bôve, bœuf; nôvu, neuf; prôba, preuve; ôp(e)ra, œuvre; *fôdrLi (germ. fôdr), feurre. — h) Môvet, uuut; *pôtet, peut.
Historique. — L'o libre a éprouvé de bonne heure une diphtongaison dont on retrouve la trace dans la plupart des langues romanes. Au nord de la Gaule, notamment, il est passé à iio vers le vi^ siècle, par un pcocessus très analogue à celui qui .1 transformé e en ie (cf. §46, hist.). Par suite de l'allongement des voyelles libres sous l'accent, un mot tel que cor est devenu théoriquement koor, puis par dissimilation des deux éléments koor, et kuor par une dissimilation plus forte. Des formes avec uo se trouvent dans les plus anciens textes français (cf. l'italien qui a conservé mtàvo, etc.). Mais, dès le début du xi^ siècle, cet uo par une étape uç ou /ig est passé à luœ ou wœ, dans certains cas aussi à we ou ive^, suivant que l'arrondissement du second élé- ment persistait ou non (kuor devient dialectalement kwœr ou kwœr, kwqr, ou kiùer ; cf. l'espagnol qui a conservé iiuevo, etc.). .\u moyen âge, les scribes suivant la région à laquelle ils appar- tenaient, écrivaient les mots cités plus haut tantôt cuer, buej, >!ucf, etc., tantôt coer, boef, noef : de là des confusions et des hésitations qui se sont perpétuées .en partie dans notre ortho- graphe moderne. Au point de vue phonétique, la forme domi- nante de la diphtongue dans l'Ile-de-France paraît avoir été îar qui, au cours du xiii^ siècle, s'est réduit à œ par effacement du premier élément. Plus tard, cet œ est devenu ce ou tv suivant qu'il se trouvait ou non en finale directe (cf. le œ provenant de 0 latin, f 72), mais il est toujours fermé devant s, ainsi dans Meuse (= Môsa) ; on prononce aussi avec un ce le mot meute (afr. umete = *môvita), et l'on hésite pour meule entre mc^l et mce] .
Remarque I. — L'adjectif creux (afr. crues, d'accord avec le provençal cros) remonte à un type vulgaire *crôsu d'origine incertaine, et qu'il paraît difficile de rattacher au participe coirô-
9
— 90 —
sus. — Dans la particule /oo (= fôris), il n'v a pas eu diphton- gaison par suite de l'emploi: proclitique. Les mots rose (rôsa), école (schôla) et ctole (stôla) sont des mots d'emprunt ou qui ont subi une influence savante : noter aussi vole (vôlat), et autres formes appartenant au même verbe. Les formes primitives cbt'- vreitl (= capreôlu), et escureul (=. *scuriôlu, cl. sciûrum) sont devenues, au cours du xvi^ et du xvii^ siècle, chevreuil, écureuil, sous l'action analogique des mots terminés en -etiil (§ 70). C'est également à l'analogie qu'est- due la finale de cercueil, pour afr. sarcueu (=^ *sarcôfu, cl. sarcôphagum) : d'après les mots comme sueil, pi. sueus, il s'était produit à côté de sarcueus une forme sarcueil. Enfin on hésite depuis longtemps sur la prononciation de la finale dans linceul (= linteôlu).
Remarque II. — L'afr. avtiec (= *ab-hôque) s'est réduit à avecàés le xii'-' siècle, Vu y ayant été absorbé par \tv précédent à l'époque où ne était encore une diphtongue (cf. afr. illec pour illuec ^=. *illôque). On a eu au contraire une réduction de l'afr. fuer (;= fôru) à fur dans l'expression au fur et à mesure, où il était proclitique .
Remarque III. — Des formes verbales comme prueve (=r prôbat), trueve (^ *trôpat), uevre (= ôperit), cuevre (= *côperit, cl. cooperit) et suefre (:= *sôferit, cl. suff'ert) sont devenues en fr. mod. prouve, trouve, ouvre, couvre, souffre, par analogie avec les formes à radical atone (prouver = prohàrt , etc., § 99) : la vieille forme treuve était encore employée au xviie siècle par Molière et par La Fontaine. — Le mot roue, dont la forme ancienne et régulière reue (= rôta) existe encore dans les patois picard et bourguignon, a de même été refait sur le diminutif rouelle {=^ rotella).
b) 0 ouvert entravé.
67. h\j latin accentué, placé devant une entrave,
— 91 —
reste ordinairement intact en français. Ex. : Porta, porte; morte, mort; c(h)ôrda, corde; pôrcu, porc; cornu, ^o;-; dormit, dort; côllu, col; *côccu, coç/.
Remarque I. — Il faut toutefois observer que, devant un -s- qui s'efface ou non, Vo est devenu o en français moderne (sur le sort de a dans la même situation, cf. § 36, I). Ex. : Co7e (afr coste — Costa), hôte (afr. este = hôspite), tôt (afr. tost = tôstu)', 05^(afr. ç« = ôssu), fosse (afr. /p^^e = fôssa), grosse (^h. grosse — grôssa). Le mot crosse (afr. cror^, qui se prononce kros, remonte à un t}-pe bas lat. *cr6cta. - Les pronoms jiôstru "ei 'vdstrn (cl vëstrum) ont pris respectivement en français deux formes divergentes (nôtre et notre, vôtre et votre), suivant qu'ils étaient employés seuls ou devant un nom : c'est au cours, semble- t-il, du xvie siècle que cet état de choses a commencé à s'établir, et Th. de Bèze fait une distinction quantitative entre nos fre mai- son et la nostrc.
Remarque II. — Dans tôrta de\'enu tourte conformément au^^, 73 (et dont tarie ne paraît être qu'une variante phonétique), il faut supposer que, dés le latin vulgaire, Vo était passé à 0 sous des influences obscures. - Dans rôle {= rôtulu), qui Jst un mot savant et s'écrivait autrefois roolle, le son fermé provient de la contraction des deux 0. Pour quelques termes dont l'origine reste obscure (wo/ = *môttu, cl. mùttire: pot = *pôttu, cLpô- tum : sot = *sôttu, cl. stùltum), le passage récent de 0 à p a été consécutif de l'efl^acement du / final dans la prononciation (cf.
S 152).
68. LV accentué, qui se trouve entravé devant / + consonne, par combinaison avec / vocalisé (§ 188), aboutit en français à ii écrit on. Ex. : *Cô](a)- pu, afr. colp, coup; *vôl(ù)ta, afr. voile, voûte; sôl(i)-
— 92 -
dus, afr. 5t)/^, son ; môl(e)re, atr. iiioldre, moudre ; fôllis, afr. fols, fou ; pôll(i)ce, afr. poJce, pouce.
Remarque. — A côté des formes savantes /jo/y/'e et poulpe, afr. polpc (= polypu), le mox. pieuvre ((\ui semble avoir passé par des étapes *pueleve, *pitelve, *pueuve et *pieiive, cf. yeux § 70, I) est une forme d'origine normande, popularisée par V. Hugo vers 1862.
c) 0 ouvert sous linfluence du yod.
69. Lorsque Yo accentué est suivi d'un vcc? d'ori- gine latine ou romane, qui peut se conibiner avec lui (§ 29), il résulte de cette combinaison en fran- çais le son complexe ïvi (écrit ///). Ex. : a) Côriu, cuir; pô(d)iu, afr. pui, puy; m6(d)iu, viiiid ; inô- (d)iat, ennuie ; hô(d)ie, [anjourd']bui ; *posseat (cl. possit), puisse; ôstrea, huître. — /') Nôcte, nuit; ôcto, huit; côxa, cuisse; noces, nuis.
Historique. — Cette transformation s'explique facilement (cf. celle de e -)- y, § 49). Ici, après la diphtongaison normale de 0 libre (§ 66, hist.), on a eu uo + y, c'est-à-dire une triph- tongue tioi, plus tard u§i, où l'élément médial s'est effacé : côriii par exemple est passé par les étapes théoriques *kuoyr, *kiqir, pour abautir à kuir. Ce changement s'est produit, au nord de la France, dans une zone sensiblement identique à celle où iey s'est réduit à i. A la fin du xi^ siècle, /// était encore une diph- tongue décroissante assonant avec 1'» simple : un peu plus tard, l'accent s'est déplacé, et ui (par progression wï) à rimé avec les mots en /.
— 93 —
Remarque I. — La particule puis n'a pas une origine abso- lument certaine : elle semble représenter un type vulgaire *pôsteo ou "pôstcis, pour le classique pôstea (de même que la particule archaïque ains, afr. ain:{, paraît reproduire *a«/(?o ou "anteis, pour le cl. antea). Mais elle pourrait aussi, ayant été préposition autre- fois, remonter directement au latin archaïque poste (cl. pôst) : un groupe phraséologique tel que pôste-niiuni anmini devait aboutir à puis un an (comme ante-unnm anmnn aboutissait à ain\ un an) . La formule conjonctive puisque semble se rapporter plutôt à *pôsteo quid (cl. postquam, posteaquam).
Remarque II. — Dans l'afr. vuide (rzr*vôcita) l'« a été absorbé par le v qui précédait, d'où le fr. vide. — L'ancienne forme verbale muir (== *morio, cl. morior) a été remplacée en moven français par tueurs, sous l'influence de la 2^ et de la 3e per- sonnes (meurs = *môris, meurt = *môrit). De même en concur- rence avec le régulier puis (= *possèo, cl. possum), il s'est produit une forme analogique ^«/jc (d'après peux = pôtes, peut = *pôtet, cl. potest), qui n'a pas encore complètement triomphé de l'autre.
Remarque III. — Les trois mois feu, jeu, lieu remontent ■kfàcu, jôcu, lôcu, où le c s'est effacé (sans doute à l'étape g) au lieu de passer à y, parce qu'un élément palatal ne pouvait pas se développer entre deux voyelles vélaires. De là des formes primi- tives *fou, *jou, *lou, où la finale en hiatus s'est conservée (cf. 1 1 3, I. et le mot dieu =z dëu, § 46, I), et qui par la diphtongai- son normale de Vo sont passées à *Juou, *dïuou, *}uou. Le mot *fuou est ensuite devenu *fiuyu', puis *fa'iv (absorption par la la- biale / du premier élément de la triphtongue), et enfin fœ (effa- cement de l'élément final, fermeture de tr en œ). Dans les formes *d{!uyic et *lilœw, l'élément ii a persisté tout en passant par dissi- milation au son plus aigu /' (cf. le développement de ocnlos en yeux, § 70, 1) : mais l'ancien *d^iœw (afr. gieu fréquent à côté de jeu) a fini par perdre son / qui s'est fondu dans le { initial, tandis
— 94 —
que *l!œiu a conservé le sien (d'où le fr. mod. ïq', lyo-). — Le mot côciis (cl. côquus) a subi sans doute un développement ana- logue pour aboutir au fr. queux.
70. Lorsque Vo accentué est suivi d'un yod qui se combine avec un / pour le mouiller (groupes ly, cl, gl), il en résulte une entrave d'une nature spéciale devant laquelle o s'est développé comme s'il était libre (§ 66). Ex. Fôlia, afr. jiœille, feuille; dôliu,. deuil ; sôliu, seuil; *orgôliu (germ. *urgôli), orgueil; ôc(u)lu, oeil ; *trôc(u)lii, treuil ; celt. *brôg(i)lu, breidl.
Historique. — A un moment donné, sous des influences dialectales, il semble y avoir eu en français une tendance à confondre les finales -eidl et -eil, prononcées sans doute unifor- mément (7. Dans la seconde partie du xvi^ siècle et au début du xviie, certains poètes faisaient volontiers rimer des mots comme œil, orgueil, avec soleil, pareil, etc . — Il faut observer que le son œ a conservé la graphie œ dans œil, l'ancienne graphie ue derrière c et o- ézns cueille, afr. cueil (= *cÔlligo), ècueil, cercueil, orgueil. Cf. § 66, hist.
Remarque I. — Le développement du pluriel ôc(u)los a été le suivant : ûflj, puis (/ -(- consonne se vocalisant comme /, 5 190, I) i'iaus, iiœs, et enfin par le passage de ii au son plus aigu / (et. lieu, § 69, III) iirs et yœ, écrit yeux.
Remarque II. — Le mot huile (= ôlea), où le y au lieu de mouiller / s'est combiné avec 0 pour produire iii (§ 69), est un mot d'introduction tardive, venu par la liturgie. Quant à la forme du fr. mod. fauteuil, elle représente une forte altération de l'afr. faudestuel (germ. faldastôl).
— 95 —
d) 0 ouvert suivi dune nasale.
7 1 . Tout 0 ayant pris de bonne heure dans \x plus grande partie de l'ancienne Gaule un son fermé devant une nasale, il n'y a pas ici de distinction à faire entre () et (' : leurs destinées ultérieures seront donc exposées en même temps. Voir §§ 77 et 78.
Historique. — Déjà en latin vulgaire ïo était devenu 0 devant les groupes de consonnes comme 11 1, nd . Toutefois, même pour la Gaule, certaines réserves sont nécessaires. 11 semble que, dans quelques parties du nord de la France, Vo de- vant une nasale avait conservé plus longtemps sa valeur propre, comme le prouve la forme diphtonguée biiona (-=; bôna) dans la Cantilène d'Eulalie, composée au Nord-Est, et aussi Zir/^; dans des textes normands (cf. l'italien buàno, l'espagnol buetio). Ce fait est surtout notable pour 0 -j- m : des formes hueui (= hômo), cticns (=z cômes), se rencontrent au moven âge, et la dernière spécialement est ordinaire un peu partout, même dans l'Ile-de-France. — On doit aussi supposer que t(ii)ûm, s(ti)ût?i, ont passé par *tovi, *soni, pour aboutir à l'afr. tuen, suen (§ 51, rem.); et que la f^ pers. suis, afr. siii, remonte à *sô (c.-à-d. *sôm pour sûm), devenu *sôyo sous l'influence de *a\o (§ 171, III).
O fermé accentué
(ô ET Ù EN LATIN CLASSiaUE).
a) 0 fermé libre.
72. L'çî latin, accentué et libre, devient en fran- çais a- (écrit eu, œii), qui est œ devant une consonne
- 96 -
articulée et œ à la finale. Ex. : a) Flore, fleur ; hôra, heure ; sapôre, saveur; (il)lôru, leur ; sôlu, seul ; gûla, gueule. — b) Vôtu, vœu ; nepôte, neveu ; nôdu, nœud; *prôdis, preux ; otiôsu, oiseux; duos, afr. cious, deux.
Historique. — L\.i libre a abouti en français au même résultat que l'p, mais par une voie sensiblement différente. Au nord de l'ancienne Gaule, vers la fin du viii^ siècle sans doute, en même temps que ç se diphtonguait en <;/(§ 54, hist.), la voyelle vélaire c a dû d'une façon très symétrique passer à ou : en théorie, flore par allongement et dédoublement delà voyelle accentuée est devenue *foçr, puis *f!ou7- par dissimilation entre les deux éléments. La preuve de ce fait est dans des graphies de la fin du ixe siècle, telles que k'//c:{Oi/r = *bellatiôre (Caniilène d'Eulalie), correcious =: *corruptiôsu (Fragment de Jona^). Il faut reconnaître toutefois que cette notation n'a pas prévalu : les manuscrits du xie et du xiie siècle écrivent généralement par un 0 simple les mots /or, sol, glon'os, etc. (ou par un /( en Nor- mandie, Jïur, sul, glorius, etc.). Mais il est permis de supposer que cet 0 avait légèrement le son d'une diphtongue, car c'est devant un élément labial ti, lu (effacé ensuite) qu'il a dû devenir ir, écrit eu : le f;iit semble s'être produit dans la seconde moitié du xiie siècle, d'abord au Nord-Est, puis . avoir rayonné delà vers les provinces du Centre. Quant à la distinction entre ((■ devant consonne et ly en finale directe, elle date de la période du moyen français, mais n'était pas encore bien établie au xvie siècle. Devant s d'ailleurs, Wr est resté fermé au féminin comme au masculin dans l'important suffixe -eux, -euse =: -ôsu, -osa (herbôsu, herbeux ; herbôsa, herbeuse ; cf. les nombreuses créations analogiques telles que poudreux, honteux, courageux, etc.).
Remarque I. — H faut observer d'abord qu'en latin vul- gaire Tn suivi d'une labiale s'était ouvert dans un certain nombre
— 97 —
de mots. Ex. : *CoIôbra (cl. colùbra), afr. coliievre, couleuvre \ *ôvu (cl. ôvum), afr. nef, œuf ; *iôvene (cl. jùvenem), afr. juene, jeu)ie \*nidbUe (cl. mobile), afr. nnichlr, meuble; *côperit (cl. côperit = côôperit), afr. ciievre, couvre (sut *côpreii , cf. § 75^ I). Par contre en français, devant la labiale v, le développement de ou en œ n'a pas eu lieu. Ex. : Lûpa, louve; Lùpara, Louvre • cùbat, couve ; rôbur, rouvre. Le mot h'ipu est en afr. lou[p] ou Jeu (conservé dans à la queue leu leii) : la première de ces formes semble avoir prévalu sous l'influence du féminin louve. Cf. aussi le mot *ddga (cl. dôga, gr. 00/ rj), devenu en afr. doe, doue (con- servé dans doiielh), et douve par dégagement d'un -i'.
Remarque II. — Les autres exceptions à la règle ne sont qu'apparentes, et se laissent expliquer par des actions analo- giques ou des emprunts. D'abord dans la conjugaison l'afr. tteue (= nôdat) passe à noue sous l'influence de nouer (=r nôdâre), qui est régulier, § 99 ; de même avoue (cf. le subst. verbal aveu), coule (nîv. keule), épouse, sont refaits d'après ai'OMe/', couler, épouser. C'est à ce dernier que sont dus aussi les subst. époux, épouse. L'adj . jaloux (encore jaleus parfois au xvie siècle) repose sur jalousie, et amour (parfois afr. ameur) sur amoureux ; mais on a supposé aussi que ces deux mots pouvaient être dus à une influence provençale et à la Ivrique des Troubadours (d'ailleurs des formes telles que flour, douleur, savour, d'accord avec celles de la Champagne et des dialectes de l'Est, étaient encore très usuelles chez les auteurs du xv^ siècle). Les formes ventouse (^ ventôsa) et pelouse (^ pilôsa) sont originaires du Midi, ainsi que le nom de Toulouse (= Tolôsa) et velous (=: villôsu) devenu au début du xviie siècle velours par addition d'un r para- site ; proue est un emprunt à l'italien (génois prua = prôra). — L'afr. meure (= môra) est d'autre part devenu mûre, par confusion avec l'adj. nuire, afr. meure (:= matùra). Dans prud'homme qui est pour l'afr. prcu d'onie, eu s'est réduit à u parce qu'il s'est trouvé en syllabe initiale ; de là vient aussi \'Sià]QCX\{ prude. Quant à dévéït (devôtum), noble (nôbilem), rude (rùdem), etc., ce sont des mots savants.
- 98 -
Remarque III. — Tout, toute (= *tôttu, *tôtta, cl. tôtum, tôtam) avaient un ç entravé, § 73. Nous, vous (;^ nos, vos), pour (rr *pôr, cl. prô) et oii (=z ùbi) proviennent de ce que ces mots s'employaient proclitiquement : l'ancienne préposition sour (= super) est devenue sur, sous l'influence de sus (= sûsu). Le même emploi proclitique explique les formes pronominales ce, le, affaiblissement de l'afr. ça (=^ ec]ce-hôc), lo (= il]lù), qui s'est produit vers le début du xii^ siècle : les pour *los (= iljlôs) est antérieur. Cf. mes, tes, ses (r=*môs, *tôs, *sôs), et les formes identiques du féminin pluriel.
Jb) 0 fermé entravé.
73. L'() accentué entravé est devenu en français //, écrit 011. Ex. : Côrte, cour ; *tôttu (cl. tôtum), tout ; cô(n)stat, coiUe ; crùsta, croûte ; tûrre, tour ; ùrsu, ours ; sûràu, sourd ; cûrtu, court : hùWn, boule ; bùcca, bouche; gûitA, goutte ; cûhÇi)tu, coude ; germ. *krùppa, croupe; *mùssa (germ. mos), mousse.
Historique. — Il est probable que, dans la zone française proprement dite, cet o entravé était encore intact au xii« siècle (dans cort, for, goie, etc.). C'est vers le xiiie siècle qu'il s'est mo- difié en passant directement au son qu'avait u en latin, et que le français ne possédait plus (cf. § 79) : le changement est déjà noté assez souvent par des graphies ou dans les manuscrits de cette époque.
Remarque I. — D'anciens mots populaires fournie (z=z forma), ourne {= ôrdine), ont été remplacés par des mots savants forme, ordre.
Remarque II. — L'.advcrbe deôrsum, devenu deôsu, aboutit à l'afr. jus (d'où le dérivé jusant) sous l'influence de sus (= sii-
— 99 —
su, cl. sursum) ; dlidrsum à ailleurs (afr. aillors), peut-être par une forme vulgaire *a//ôr^^ et avec addition postérieure du s adverbial. Le mot gorge remonte à un type *gôrga (cl. gùrges). Dans l'afr. meole (= medùlla), il s'est produit anciennement une transposition sous l'influence du suffixe -ele (-elle), d'où la forme mode, moelle (prononcée aujourd'hui miual, § 54).
74. L'o entravé par / -|- consonne se combine avec / vocalisé (§ 188), et aboutit en français à //, écrit ou (le résultat est donc le même que pour 0 devant / -j- consonne, § 68). Ex.: A(u)scùltat, afr. cscolte, écoule ; ultra, afr. ollre, outre ; cùltru, afr. coltre, contre ; pûlv(e)re, atr. poldre, poudre.
Remarque. — Dims foudre, qui est en afr. foldre ou foildre (^ *fulgëre, cl. fùlgur), / a été primitivement mouillé, mais le résultat identique. — Dans pouls (= pûlsu) l'orthographe étv- mologique a rétabli un / qui ne se prononce pas ; on fait au contraire sentir celui de moult (pour afr. inolt, puis iiiout =: mûltu), qui est du reste un adverbe archaïque et réservé au st\,'le marotique. — Sous sa forme actuelle, le mot oivie (afr. omue =z ùlmu) semble venu d'un dialecte du Sud-Est où / était passé à r devant une labiale. Enfin le latin singuUum était devenu *sin- glfittu (sous l'influence de glattus), d'où afr. senglout, et par changement de suffixe sanglot.
' c) 0 fermé sous l'influence du yod.
75. Lorsque Yo accentué est suivi d'un yod d'ori- gine latine ou romane qui peut se combiner avec lui (§ 29), il résulte de cette combinaison en français le son complexe wa (écrit 0/ par tradition, cf. § 54)- Ex. :
— 100 —
a) Dormkôriu, dortoir ; rasôriu, rasoir ; dolatôricî, atr. dolcoirc, doloire ; angùstia, angoisse ; côfea, coijje. — h) Voce, voix\ nùce, noix ; crùce, croix; *bùx(i)- da, afr. boisle, boîte.
Historique . — Dans la période ancienne du français, oi provenant àt ç -\- y assonait avec les mots comme flor, sol : il a donc été distinct tout d'abord de la diphtongue oi provenant par ('/ de e